Une journée en Méditerranée

LA MANANA

Les montagnes du Garraf émergent de la nuit,

l’aube se pare d’un voile rose bientôt lézardé de stries dorées,

le soleil se lève et aussitôt se mire dans la Méditerranée

qui lui emprunte ses couleurs.

Moment fugace avant que la lumière ne perce les profondeurs pour que l’eau salée

distille toutes les teintes de bleu qu’elle recèle : azul marino, osucro, ultramar, verde.

Les coqs de Vallpineda se relayent pour claironner le retour de la lumière. Sitges s’éveille

lentement, au rythme du Midi. Une porte qui claque, un doux ronronnement

d’une voiture de luxe et la pétarade d’une moto.

Les sifflements syncopés des trains se suivent de plus en plus rapidement, transportant les

travailleurs vers Barcelona, la Costa Dorada ou d’autres lieux aux noms empreints de rêves :

Tarragona, Valencia, Andalucia, La Mancha.

Les arômes d’expresso et odeurs de pains frais et de pâtes feuilletées se répandent des cafés qui se hasardent à ouvrir timidement.

Puis, progressivement, tout s’accélère. La loi de la nécessité s’impose à celle du plaisir.

Les tiendas ouvrent leurs portes. Les enfants envahissent la cour d’école de babillements frénétiques.

La vie s’agite.

MEDIODIA

Le soleil s’échauffe et s’installe solidement au firmament, éclipsant les nuages qui n’osent franchir

la barrière de la chaîne côtière. La marée s’excite un peu, léchant le sable dans un va-et-vient langoureux

et incessant, roulant les cailloux et accordant la sépulture aux coquillages vidés de leurs occupants.

Les journaux ont ramené le monde, ses terreurs, ses misères et ses petits bonheurs dans

l’intimité de chacun. Les vieux commentent les nouvelles, y ajoutent les leurs, question de faire

son propre cinéma et de donner de la couleur à la vie.

Le match de football de la veille a été rejoué des centaines de fois sur la place publique.

Le marché étale toute la richesse que la terre et la mer veulent bien offrir aux humains.

Toutes couleurs réunies, toutes odeurs étalées, tous ces yeux béats de merlus, morues et autres habitants

des mers s’offrent à tout venant. Plus que des étalages, ce sont des œuvres d’art qui viennent lécher

les sens : colimaçons de harengs dorés, escadrons de gambas, mais aussi montagnes d’oranges, brochettes de figues rendent hommage à la vie

et à ceux qui en tirent leur subsistance.

Pescados, quesos, carnes, verduras et frutos quittent les comptoirs vers les casas en préparation

de la comeda de l’après-midi et de la cena de la noche.

Les grincements, chuintements et déraillements des portes métalliques qui se ferment commencent

à se faire entendre. La ville s’enterre dans la somnolence et devient quasi silencieuse,

comme au creux de la nuit. On se terre chez soi pour s’abriter de la lumière et mieux sentir

la vie s’écouler. Ou on dîne lentement sur une terrasse en buvant les chauds rayons de mars.

Sur la plage, des corps s’allongent, quelques pieds s’élancent puis se retirent rapidement pour dire à la mer leur hâte de s’y jeter à nouveau. Des regards se promènent comme pour lancer un appel, certains se rencontrent et se disent leur désir

terrés dans les criques et les grottes sculptées dans le calcaire couleur de sienne.

LA TARDE

Le soleil se languit doucement avant de céder la place à la nuit. La mer se colore de teintes de feu

que l’astre du jour laisse jaillir avant de s’échouer.

Quelques oiseaux osent un dernier concert avant de se réfugier bien à l’abri des innombrables

ennemis nocturnes qui rodent déjà, tout à l’affût de l’invisible pour mieux le voir venir.

Calles Ange Vidal, Parellades, San Franscico, la foule s’est agglutinée dès que les portes métalliques des

tiendas ont grincé à nouveau.

Les enfants ont quitté l’école, attendus par les parents ou grands-parents, et ont envahi les cafés et pâtisseries. Une journée de classe s’y termine bien normalement. Zumo, xocolate, amenaidas permettent d’attendre la cena. C’est bien souvent trois générations qui se retrouvent autour d’une même table, ou encore

les amis de toujours, pour refaire le monde ou simplement jouir du temps qui passe.

Les enfants occupent une place sans limite, déployant leur énergie aux quatre vents et aux quatre temps sans que nul ne sente la nécessité de les assagir. Partout, un désordre joyeux affiche la vivacité et la diversité de la vie.  

Les bavardages s’essoufflent, les cafés se vident. C’est le grand déménagement vers la maison ou le restaurant. Ultime grincement des portes métalliques des tiendas.   

LA NOCHE

Océan et voûte céleste confondus. On ne voit plus de la mer que ses franges de houille blanche qui se

fracassent sur la plage. La nuit, la mer, on l’entend. Son chant s’emplit de souffles rauques, de

vrombissements, de halètements et d’un roulis qui n’en finit plus. La mer, rampante, obsédante, appelante, invitante. La mer, toujours réconfortante.

Les volets sont clos. Jamais totalement désertes, les rues sont quand même bien calmes. Des retardataires

qui rejoignent la casa. Mais surtout des solitaires en recherche de plaisirs, de sens, de chaleur humaine.

On fraternise autour de la cerveza, on s’abandonne au rythme de la musique, on se love aux creux d’une épaule. L’heure des espoirs, l’heure des abandons, l’heure des petits et des grands rêves, l’heure de la nuit.

Sitges s’endort doucement, Sitges s’endort sur sa devise catalane : un art de vivre.

Un art de vivre.


Crédit photo: Seb Duper Photography

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