Rêves de toi, une nouvelle de Sébastien Duperron

Rêves de toi

            Je suis attablé dans un café bondé, comme elle me l’a ordonné. Une douce mélodie de jazz instrumental filtre à travers le bourdonnement des conversations. Ces notes me rappellent une scène de l’un de ses premiers films, Rêves de toi, dans lequel elle jouait une femme fatale qui, comme une mante religieuse, assassine ses amants après qu’ils l’aient satisfaite. L’image de son corps nu, éclairé par la lumière de la lune, suspendu au-dessus de sa victime, son sang coulant au bout du couteau, me revient en tête.

            Comme le hasard fait souvent bien les choses, c’est à ce moment qu’elle entre dans le café. Sa robe bleu azur caresse parfaitement ses courbes et l’échancrure prononcée met en valeur son opulente poitrine. Si je ne me trompe pas, c’est cette robe qu’elle portait lors de la soirée de première de Les ombres dansent à minuit, le premier film sur lequel nous avons travaillé ensemble. Ses cheveux sont un peu plus courts que la dernière fois que je l’ai vue, et rouges, sûrement pour un rôle. Je compte lui suggéré de garder cette couleur, car elle lui va à merveille.

            Elle me repère et se presse vers moi.

            — Es-tu bon dans le harcèlement?

            Personne ne pourra jamais lui reprocher de passer par quatre chemins.

            — Je me débrouille pas pire, dis-je en riant. Pourquoi?

            Elle sourit, exhibant ses dents d’un blanc immaculé.

            — Je veux que tu me harcèles, explique-t-elle. Rien de trop weird, par exemple. Juste m’envoyer des lettres, des courriels. Écrire sur les réseaux sociaux.

            Je ne peux m’empêcher de rire.

            — Pourquoi?

            — Tu pourrais aussi cambrioler mon condo, poursuit-elle en ignorant ma question. Voler des photos, une couple de paires de bobettes, genre.

            Je ris encore, même si je vois bien qu’elle est sérieuse.

            — C’est pas illégal, ça? dis-je en reprenant mon sérieux.

            Elle incline la tête, me regarde d’un air curieux.

            — Je ne t’accuserai pas de rien, dit-elle. Je ne ferai pas de réclamation à mes assurances. Je vais juste en parler sur les réseaux sociaux, donner une couple d’entrevues.

            Elle me fait signe d’attendre et se lève, se dirige vers le comptoir. Je la regarde et réfléchis à ce qu’elle vient de me proposer.

            D’un côté, c’est une excellente occasion pour moi de me rapprocher d’elle. Je ne demande pas mieux. C’est ce que je veux depuis si longtemps, après tout. Mais ce n’est pas comme ça que je voulais que ça se passe, par contre.

            Elle revient, tasse de thé à la main, et s’assoit.

            — Et puis? Qu’en penses-tu?

            — Pourquoi veux-tu que je fasse ça?

            — Te souviens-tu combien d’argent j’ai fait avec mon dernier film? dit-elle en poussant un soupir de découragement.

            — Je ne me souviens même pas du titre, avoué-je.

            — Voilà, répond-elle. Il faut que ça change. Et vite. C’est mon agente qui a eu l’idée. Ça ne fera pas de mal à personne, mais ça va faire parler de moi. Juste à temps pour la sortie de mon prochain film. En plus, c’est beaucoup moins de trouble que de me faire arrêter ou de faire une overdose et d’aller en réhabilitation.

            Je hoche la tête. Elle a raison. Ça ne fera pas de mal à personne.

            — Et moi, là-dedans? dis-je. Qu’est-ce que j’ai à gagner?

            Elle frotta son pouce et son index ensemble.

            — Quoi d’autre? sourit-elle. Du cash. Essaies-tu encore de vendre ton scénario? Je ne me souviens plus comment il s’appelle. Distance? Celui que tu traînes depuis que t’as seize ans. Dispenses?

            – Destinations.

            — C’est ça, sourit-elle en posant une main sur mon bras. Aide-moi avec ça, et je vais m’assurer que ton film se fasse. De toute façon, je vais avoir assez d’argent que je pourrai faire tous tes films!

            Elle glisse sa main dans la mienne et sert en me souriant.

            — J’accepte, dis-je, parce que je n’ai aucune défense contre ses yeux et son sourire.

            * * *

            Il ne se vend pas de livre Le harcèlement pour les nuls. Oui, j’ai vérifié. Alors, j’ai été obligé d’apprendre sur le tas. Et, bien humblement, je dois avouer que j’ai fait une pas pire job. Pour un gars qui ne connaît pas ça, je veux dire.

            Pendant six mois, j’ai rempli sa boîte courriel de messages d’adoration, je lui expliquais à quel point je l’aimais, que je voulais passer ma vie avec elle, la gâter comme elle n’a jamais été gâtée de sa vie. En gros, j’ai imité ce que j’ai lu dans des romans et vu dans des films.

Dans mon appartement, j’ai recouvert un mur du salon de photos d’elles, certaines que j’avais pris moi-même en la suivant comme un vrai harceleur l’aurait fait. Je me suis même pointé à l’une de ses apparitions publiques, où j’ai fait toute un spectacle avant que les gardes de sécurité ne me montrent gentiment la porte.

            Un des journaux à potins s’est emparé de la nouvelle dès le début et en a fait tout un plat. Tu ne pouvais pas aller à l’épicerie sans voir sa face sur la première page, à côté de Brad Pitt, George Clooney et Jennifer Aniston (qui a eu six enfants en secret avec un prince nigérien, imaginez-vous dont!). Les autres feuilles de chou ont bien vu que son histoire vendait, alors ils se sont joints à la parade.

Son nom était sur toutes les lèvres. The talk of the town, que l’on aurait dit à Hollywood. Bon, c’est sûr que le fait qu’elle soit allée à un talk-show diffusé aux heures de grande écoute pour pleurer comme une madeleine en disant qu’elle avait peur pour sa vie, qu’elle ne sortait plus le soir, qu’elle avait fait installer un système d’alarme qui lui avait coûté des milliers de dollars (qui était désarmé quand je m’étais présenté pour faire le plein de bobettes, soit dit en passant…). Tout ça avait aidé à mousser l’affaire.

            Bon, détrompez-vous. Elle est une actrice correcte, sans plus. Personne ne va oser prétendre qu’elle a le talent de Merryl Streep. Mais pour cette émission, elle a été juste assez bonne pour que tout le monde y croie. Je pense que même Spielberg l’aurait embauchée sur le champ.

Elle tenait le haut du pavé. Tous les projecteurs étaient braqués sur elle. Et elle en profitait au maximum.

            — Le film va sortir un mois plus tôt, m’annonce-t-elle fièrement lors d’une rencontre en catimini dans un lieu hypersecret (en arrière d’une station-service sur la 20, à la hauteur de Beloeil). Il y a même un éditeur qui m’a contactée pour avoir les droits sur mon autobiographie. Il a déjà trouvé quelqu’un pour l’écrire.

            Elle s’arrête pour reprendre son souffle et me regarde, des étoiles dans les yeux. Elle n’a jamais été plus belle. Elle est resplendissante.

            — Tout ça, c’est grâce à toi. Je n’aurais jamais été capable d’y arriver sans ton aide.

            Elle m’enlace et m’embrasse sur la joue.

            — Merci. Vraiment.

            — Ça me fait plaisir, dis-je. C’était le fun.

            Je n’avais pas besoin d’un miroir pour savoir que je faisais probablement la même face qu’un petit gars qui vient de trouver la pile de Playboy de son père.

            — Un instant, dit-elle. C’est pas fini. Es-tu déjà allé aux Îles Vierges?

            * * *

            Et c’est comme ça que je me suis ramassé au Marriott de Frenchman’s Cove, un resort quatre étoiles.

            Il faisait soleil et très chaud. L’île était bondée de vedettes. J’essayais de ne pas avoir l’air trop épais en les voyant. Elle, par contre, n’eut aucune difficulté à leur parler et à se faire inviter aux partys. Des invitations auxquelles je n’ai pas eu droit, il va sans dire.

            J’en ai profité pour me reposer, prendre des couleurs et boire un bon coup.

            Je l’ai vue le dimanche après-midi, assise au bar près de la plage. Elle ne semblait pas avoir passé beaucoup de temps au soleil, et la raison était assez évidente.

            Aussi évident qu’un homme musclé de six pieds au teint basané et aux longs cheveux luisants vêtu de lin puisse être.

            Il la faisait rire. Il la touchait. Elle le touchait. Encore et encore et encore.

            Je suis retourné à ma chambre pour faire mes valises.

            * * *

            Semble-t-il que le gars est un acteur de 26 ans qui a quitté son Maroc natal il y a quatre ans dans l’espoir de trouver la gloire et faire fortune à Hollywood, PQ. Il a décroché quelques rôles mineurs dans des téléséries web et dans des commerciaux. Jamais marié, pas d’enfants.

            En tout cas, c’est ce que j’ai appris en lisant sa notice nécrologique.

            Le tuer n’a pas été très compliqué. Mais oh combien satisfaisant. J’ai été surpris que ce soit aussi facile, honnêtement. Mes jambes tremblaient à peine quand je me suis faufilé derrière lui et lui ai tranché la gorge d’une main adroite.

            Depuis ce temps, elle ne répond pas à mes appels et ignore mes courriels. Je ne l’ai jamais vue dans la foule lors de mon procès.

            Évidemment, elle n’est pas venue me rendre visite en prison, non plus. Mais bon, ça fait juste quatre mois. Il lui reste du temps en masse pour venir me voir, donc je garde espoir.

            Il faut qu’elle vienne me voir.

On a un film à préparer.

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