Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est toute une coïncidence.
Cela fait douze ans que l’on ne s’est pas vus. La dernière fois, c’était dans un bar miteux de Montréal.
Comment expliquer, alors, que nous nous trouvions à Madrid, dans une étroite rue de la capitale espagnole, au même moment.
Je le reconnais aussitôt. Certes, il a changé. Un peu plus musclé, assez pour lui donner un air de dominance qu’il n’avait pas, mais alors pas du tout, jadis. Son regard, par contre, n’a pas changé. Ses yeux bleus sont d’une beauté telle que je suis convaincue qu’ils ont leur place dans les plus grands musées des beaux-arts de la planète. Ils n’ont rien perdu de leur fougue d’antan. Un instant suffit pour me rappeler comment, dans une ancienne vie, ces yeux m’avaient goûté, déshabillée, matraquée, enflammée.
Je l’attrape au moment où il s’apprête à franchir la porte ouverte d’un restaurant.
— Emilio ? dis-je. Emilio Santos ?
Il me dévisage un instant, puis je souris en voyant la surprise envahir son visage.
— Ophélie, répond-il en souriant. Comment vas-tu ?
Nous échangeons les platitudes d’usage, nos regards verrouillés l’un sur l’autre. Il m’informe qu’il est en visite chez un ami musicien pour un temps indéfini.
— Je joue la touriste, dis-je en réponse à sa question. Je suis à l’hôtel Axel. C’est tout près.
Il hoche la tête en souriant.
— Je m’apprêtais à prendre une bouchée, dit-il en indiquant le restaurant. Tu m’accompagnes ? Les meilleurs tapas en ville, c’est ici.
Je le suis à l’intérieur, où nous nous installons à une table dans un coin sombre, balayé par l’air frais d’un ventilateur oscillant suspendu au plafond.
Une charmante dame âgée s’empresse de saluer Emilio et de me souhaiter la bienvenue. Emilio l’embrasse et elle retourne à la cuisine. Elle revient un instant plus tard, les bras chargés d’une corbeille de pains chauds et de verres d’eau.
— Prendrais-tu du vin ? me demande Emilio en retenant la femme pour ne pas qu’elle se sauve. Tu aimes bien le rouge, si je me souviens bien.
J’acquiesce et Emilio lui dicte sa commande.
— Quel hasard, tout de même, dit-il une fois la dame partie. Il faut que je traverse l’Atlantique pour te revoir. Tu habites toujours Montréal ?
— Je n’ai jamais quitté mon condo, dis-je, espérant que la simple mention de ma résidence suffirait pour lui rappeler les moments jouissifs que nous y avions passés ensemble.
En voyant son sourire, je conclus que j’ai visé juste.
— Et toi ? reprends-je après un silence prolongé.
Il secoue les épaules.
— Tu me connais, Ophélie, dit-il en souriant. Je suis incapable de m’éterniser entre les mêmes quatre murs. J’étouffe. Alors, je butine de domicile en domicile.
La dame revient et dépose nos premiers plats sous nos nez. Jambon, croquettes, patatas bravas, calmars, tout sent très bon. L’eau à la bouche, je m’empresse de goûter à tout, sous les yeux rieurs de mon ancien amant.
Notre conversation coule sans effort, comme lors des beaux jours. J’ai toujours apprécié mes discussions avec cet homme cultivé et intelligent, philosophe à ses heures, qui sait m’écouter. En plus de ça, je n’arrive pas à détacher mes yeux de lui.
C’est comme si, puisque je n’ai pas eu la chance de le mater depuis plus de douze ans, j’essayais de tout mémoriser. Si jamais… Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, tous ses gestes. Je ne veux rien manquer.
Tout me replonge douze ans en arrière. Je regarde ses doigts, qui m’ont apporté tant de plaisir. Ses lèvres, qui m’ont goûté encore et encore. L’épaule que j’ai mordue, presque au sang, en essayant d’étouffer un cri de jouissance alors qu’il me baisait dans une ruelle du Vieux-Montréal, à quelques pas d’un groupe de touristes et leur guide.
Il n’en faut pas plus pour réveiller des papillons que je croyais volatilisés depuis longtemps.
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Le repas terminé, nous sortons dans la rue, repus et un tantinet ivres — je le suis, du moins.
— On peut marcher ? demandé-je, en partie pour chasser la brume qui voile mes yeux, en partie pour faire durer le plaisir de cette rencontre inattendue, aussi.
Emilio pointe vers le sud et nous nous mettons en marche. La descente du soleil est déjà bien entamée. Je n’ai pas remarqué l’heure, trop obnubilée par sa présence. La pénombre a fait sortir les gens et les rues sont plus achalandées. Nous devons faire quelques pas de danse pour éviter d’être renversés par des jeunes filant à toute allure sur des trottinettes électriques.
— Tu n’as pas perdu ta grâce sur tes deux pattes, me lance Emilio.
— Sur quatre pattes non plus.
Ma réplique est sortie trop vite, sans que je puisse l’arrêter.
Je rougis et porte une main à ma bouche, les yeux écarquillés. Emilio éclate de rire et je l’imite aussitôt. Nous reprenons notre marche, qui nous mène rapidement à la fontaine de Neptune, sise au centre d’une grande place bondée de quidams.
Tout près de la majestueuse sculpture, une foule encercle un couple dansant un flamenco endiablé au son d’une guitare grattée par un vieil homme au dos voûté.
Une autre coïncidence ? Emilio et moi nous étions rencontrés dans une salle montréalaise, où nous assistions à un spectacle de danse latine. Emilio était un excellent danseur, à l’époque.
Nous nous arrêtons pour les observer. Leurs mouvements calculés sont d’une sensualité envoûtante. L’homme élancé, le dos droit et le pas assuré, tient sa compagne près de lui et la fait tournoyer à une vitesse étourdissante. Les cuisses fermes et basanées de la dame percent frénétiquement au travers de la fente de sa robe lorsqu’elle lève les orteils vers le ciel.
Concentrée, les yeux braqués sur les danseurs, je n’avais pas remarqué qu’Emilio s’est approché à quelques centimètres de moi. Son parfum musqué et parfaitement masculin emplit mes narines et la chaleur émanant de son corps me rappelle une fois de plus nos moments intimes. L’assaut sur mes sens me fait chavirer et je me laisse glisser contre lui, attrapant sa main au passage pour la poser sur ma hanche. Je ne veux pas qu’il doute un seul instant de mes intentions.
— Tu crois qu’ils sont amoureux ? me demande-t-il au moment même où l’homme fait balader sa main sur la jambe nue de sa compagne, de la cheville jusqu’au galbe de son mollet, avant de franchir le creux de son genou et de venir s’éterniser sur les muscles de sa cuisse.
L’homme la soulève et la fait vriller dans les airs, sa robe flottant dans le vent, nous dévoilant un postérieur ferme d’une beauté que le meilleur des sculpteurs n’aurait su reproduire.
Il a sa réponse quelques instants plus tard lorsque les danseurs se lancent dans une série de mouvements endiablés, puis s’arrêtent soudainement en se fixant dans les yeux. Ils s’embrassent goulûment au son des applaudissements de la foule. Leur embrassade terminée, ils se redressent et saluent la foule.
Emilio se détache de moi pour aller déposer des pièces de monnaie dans le chapeau posé au sol. Il se tourne ensuite et me sourit tout en se rapprochant de moi, ses yeux plongés dans les miens.
Il me tend la main, mais je la rejette. Un geste qui, comme je l’escomptais, le choque. Il s’arrête, interdit, et me jette un regard interrogateur.
Je me précipite vers lui, l’empoigne par la taille et l’embrasse.
Le goût familier de ses lèvres, l’odeur de sa bouche et la chaleur de sa langue réveillent mes pulsions. Tout est comme avant. Douze ans se sont écoulés depuis notre dernier contact, mais, aux yeux des passants, nous avons sans doute l’air d’amoureux qui se fréquentent depuis toujours.
Lorsque nous brisons enfin notre étreinte, Emilio me regarde, sourit, puis me prend par la main et m’entraîne à sa suite.
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Je comprends rapidement où il m’emmène. Je ne proteste pas, car je désire la même chose que lui. J’en ai grand besoin.
Il pousse la porte et me fait signe d’entrer. Impatients, nous traversons le lobby de mon hôtel, pratiquement désert à cette heure, en un rien de temps. Après avoir enfoncé le bouton d’appel de l’ascenseur, il se tourne vers moi et me déshabille du regard en passant le bout de son pouce sur ses lèvres entrouvertes. L’étincelle dans ses yeux m’enflamme et je dois me retenir pour ne pas lui sauter dans les bras sur le champ.
La cloche tinte et les portes de l’ascenseur vide s’ouvrent. Nous nous empressons d’entrer et d’appuyer sur le bouton pour fermer les portes et nous placer à l’abri des regards indiscrets.
— Quel étage ? me demande-t-il, un léger essoufflement perceptible dans sa voix.
Je m’avance pour appuyer sur le quatre, puis me projette contre lui. Nos lèvres se retrouvent et nos mains caressent le corps de l’autre avec l’insistance découlant de l’éloignement prolongé.
J’imagine que l’ascenseur a fini par atteindre le quatrième étage et que nous sommes rendus à ma chambre, mais je ne saurais vous dire comment.
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Emilio prend le contrôle dès que nous entrons dans ma chambre faiblement éclairée par le clair de lune. Il me pousse contre le mur, saisit mon visage à deux mains, puis lance un assaut impétueux sur mon épiderme qui en demande encore et encore. Ses lèvres, sa langue et ses dents s’allient pour me faire vivre des sensations que je n’ai pas vécues depuis trop longtemps. Mes jambes plient et je dois m’accrocher à ses épaules pour ne pas m’écrouler.
— J’ai eu envie de toi dès que je t’ai vue, Ophélie, me chuchote-t-il à l’oreille. Je m’ennuyais de ta peau.
Il presse son bassin contre moi pour bien me faire sentir son érection. Je soupire et m’empresse de masser son membre à travers son pantalon, qui durcit encore.
Emilio recule et me scrute avec appétit. Il passe un doigt sous chacune des minces bretelles de ma robe et les fait glisser sur mes clavicules et mes bras jusqu’à ce que le haut de la robe tombe et libère mes seins. Il s’arrête et m’observe de la tête au pied, se lèche les lèvres et se frotte les mains en pensant à ses prochains gestes.
— Tu es plus belle que jamais, murmure-t-il.
Je souris et Emilio me saisit par les poignets. Il lève mes bras au-dessus de ma tête et les immobilise. Il s’incline vers moi et vient titiller mon mamelon déjà bien dressé du bout de la langue. Il l’encercle de ses lèvres et le suce. Je halète.
— Emilio…
Il lâche son emprise sur mon sein, mais uniquement pour rendre la pareille à l’autre mamelon. Imitant la danseuse, je tends la jambe vers le haut et frotte ma cuisse contre l’entre-jambes d’Emilio, ce qui lui tire un râlement bestial.
Il abandonne mon sein et fait glisser sa bouche vers le creux de ma nuque, mordillant mon épaule au passage.
Je n’en peux plus. Si le passé est vraiment garant de l’avenir (ou du présent, en ce qui me concerne), Emilio va étirer les préliminaires jusqu’à ce que je le supplie d’arrêter. Ou que je tombe dans les pommes.
Je parviens à libérer mes mains et à le repousser. Emilio me regarde, stupéfait, puis sourit lorsque je m’agenouille devant lui.
Je déboutonne son pantalon et tire délicatement son caleçon vers le bas, prenant bien soin de contourner son pénis en érection. Je m’arrête et lève les yeux vers Emilio. Il m’interroge du regard, impatient à l’idée de me voir envelopper sa queue de mes lèvres.
— Qu’est-ce que tu veux ? lui demandé-je.
Il soupire, ouvre la bouche pour me répondre, mais l’arrivée subite de ma langue sur son gland dénudé lui coupe la parole.
— Tu veux que je te suce, Emilio ?
Je sors la langue à nouveau, lui tirant un nouveau soupir, plus profond celui-là. Je ricane, avant de recommencer. Je glisse la langue du haut vers le bas de sa queue et titille ses couilles avant de revenir vers le haut.
— C’est bon, Ophélie, pousse-t-il. Continue.
Je le regarde dans les yeux et lui lance mon sourire le plus machiavélique.
— Contente que tu apprécies, Emilio.
Sans briser le contact, j’ouvre la bouche et enveloppe mes lèvres autour de son gland. Emilio gémit. Je place mes deux mains sur ses fesses et les serre fortement avant de les pousser vers moi. Son pénis remplit ma bouche. J’amorce un lent mouvement de va-et-vient de la tête, ma langue et mes lèvres travaillant en parfaite symbiose. Emilio râle de plus en plus fort. Il passe ses mains dans mes cheveux, puis il recule et libère son pénis.
— Pas tout de suite, dit-il.
Il me redresse et m’embrasse. Ses mains trouvent mes seins, qu’il caresse avec envie. D’un mouvement rapide, il retire ma robe. Puis, il m’attire vers le lit et me pousse contre celui-ci. Je m’affale sur le dos, les jambes ouvertes et prêtes à l’accueillir, mais Emilio me tourne sur le ventre.
— J’ai toujours adoré te voir comme ça, me dit-il.
Il me tape une fesse, puis l’autre. Il passe la langue sur ma jambe droite, de la cheville jusqu’au bas de ma fesse. Je sens son souffle chaud sur mon vagin détrempé et il passe à l’autre jambe. Il agrippe mes chevilles et me tire vers le bout du lit. Il plaque son visage sur mon cul bombé et embrasse mes fesses là où il les a frappées quelques instants plus tôt.
L’effet est magique. Je tremble de partout. Il saisit ma culotte et me la retire.
Je suis nue devant lui, sans défense. Soumise à tous ses désirs.
Je n’y changerais rien.
— Prends-moi, le supplié-je.
Sa main se faufile entre mes jambes et vient trouver mon vagin détrempé. Je soulève les fesses et écarte les jambes pour lui donner accès. Il plaque son pouce sur mon clitoris gonflé et insère aisément deux doigts entre mes lèvres. Son pouce trace des cercles autour de mon clitoris pendant que ses doigts fouillent mon antre.
Il passe son autre main sous moi et vient empoigner mon sein. Il pince mon mamelon. Plus bas, son pouce se fait de plus en plus insistant sur mon clitoris et je sens les vagues de mon orgasme me gagner.
— Je veux jouir sur ta queue, plaidé-je en me tortillant sous lui. Fourre-moi, Emilio.
Il n’a pour seule réponse que d’entamer un va-et-vient rapide des doigts dans ma chatte, qui n’en finit plus de mouiller.
Je gémis de plus en plus fort en m’agrippant aux draps. Emilio s’allonge sur moi et laisse traîner sa langue langoureusement du creux de mes reins jusqu’à la base de mon cou.
Il ne m’en faut pas plus. Ma jouissance monte et je me laisse aller, la puissance de mon orgasme me faisant tressauter. Emilio ne lâche pas prise malgré mes cris de jouissance et poursuit.
Le deuxième orgasme déferle peu après et je m’affale, à bout de souffle. Il y a longtemps que j’ai joui de la sorte.
Emilio s’allonge à mes côtés. Il me regarde en souriant et lèche ses doigts.
— J’avais oublié à quel point c’était agréable de t’entendre jouir, dit-il.
Nous ricanons et il enroule ses bras autour de moi. Je frissonne. Après quelques instants, je retrouve mes repères. Tout en l’embrassant, je parcours son torse de la main et glisse jusqu’à son pénis, qui est encore tout aussi gorgé de sang.
Je m’empresse de le chevaucher. Ma chatte trempée suspendue au-dessus de lui, j’empoigne son pénis et fixe Emilio dans les yeux.
— À moi de t’entendre jouir, dis-je tout en insérant sa queue dans mon vagin.
Il empoigne mes fesses et dicte le rythme du mouvement de mes hanches, variant la vitesse et la profondeur de sa pénétration. Je m’incline vers l’arrière et frotte mon clitoris. Emilio délaisse mes fesses et enveloppe mes seins. Il pince mes mamelons tout en me pilonnant de plus en plus fort.
Mon vagin se contracte autour de sa queue à l’approche d’un autre orgasme. Je crois que je commence à voir des étoiles. Nous gémissons ensemble, un concert qui doit assurément alerter mes voisins de chambre à nos folies.
Je cesse de compter les orgasmes après le quatrième. Je n’ai plus de contrôle sur mon corps. Mes sens sont à vif et mon épiderme est en feu. Sous moi, Emilio sourit.
— Tu es magnifique, ma belle Ophélie, dit-il.
Il se redresse et m’encercle de ses bras, son pénis toujours bien ancré dans ma chatte détrempée. Il m’incline vers l’arrière en me retenant pour ne pas que je tombe, puis reprend ses mouvements du bassin. L’angle est différent, mais les sensations sont les mêmes.
Rapidement, son visage se crispe et je comprends qu’il s’apprête à jouir. Il durcit sa prise sur mes fesses et ralentit la cadence. Je jouis à nouveau. Nos lèvres se retrouvent, notre baiser étouffant ses gémissements.
Il brise notre étreinte et me fixe dans les yeux. Il me donne quelques violents coups de bassin, puis émet un long râlement que je connais très bien.
Nous restons comme ça, enlacés, pendant un long moment. Nous nous regardons dans les yeux, de larges sourires accrochés à nos visages. Emilio passe une main dans mes cheveux et je ferme les yeux, frottant ma joue contre la paume de sa main et l’embrassant.
Je pourrais rester dans cette position longtemps.
— C’était bon, dit-il enfin.
— Oui.
— Vas-tu me faire attendre encore douze ans avant de recommencer ?
Je ris et il m’embrasse.
— Non, quand même, dis-je. Mais douze heures, peut-être. Parce que là…
— Je te donne douze minutes, dit-il en me lançant un clin d’œil.