MOT DE L’AUTEUR
Écrire une nouvelle entièrement composée de dialogues entre deux personnages est un exercice d’écriture amusant que j’essaie de faire régulièrement. Cela me permet de travailler mes muscles de dialogue, mais aussi de pratiquer d’autres aspects de l’écriture.
Je me suis réveillé un matin avec cette idée de nouvelle qui tourne autour d’un plat préparé en suivant une recette de notre Ricardo national.
Bonne lecture!
Seb D.
As-tu passé une bonne journée? Bon appétit.
Merci. Correcte.
Juste correcte?
Oui.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Plainte aux RH. Anne, encore.
Pourquoi?
Elle dit que Jeannie et moi, on l’ignore quand elle nous parle.
C’est vrai?
Ben, non, c’est pas vrai. Voyons donc. Elle se fait des idées, comme d’habitude.
Mais la dernière fois…
Quoi, la dernière fois? Qu’est-ce qui est arrivé, la dernière fois?
Calme-toi. Je voulais juste dire que, la dernière fois, tu as eu un avertissement écrit, c’est tout.
Parce que la fille des RH avait pris son bord. Ça ne veut pas dire qu’elle avait raison.
OK.
Pis pourquoi tu prends toujours son bord, toi aussi? Une chance que t’es pas aux RH, je n’aurais plus de job.
Je ne prends pas toujours son bord.
Me semble.
L’aimes-tu? C’est une recette de Ricardo. J’ai ajouté de la crème et du curcuma.
Change pas de sujet, Tom. Pourquoi tu lui donnes toujours raison, à Anne? Parce qu’elle t’as fait des beaux yeux au dernier party de Noël?
Arrête. Tu le sais bien que ce sont tes beaux yeux qui me font craquer.
Touche-moi pas.
Où est-ce que tu vas? Mel, reviens. Fini de manger.
J’ai plus faim.
Ben voyons. Ouvre la porte, Mel.
Laisse-moi tranquille.
Aller, Mel. Viens manger.
Non.
Franchement. Tu trouves pas que tu réagis un peu fort?
Je réagis un peu fort? Va chier, Tom. C’est toujours la même histoire avec toi.
De quoi tu parles? Bon. Viens t’asseoir.
Non. Lâche-moi. J’ai besoin de prendre l’air.
Assis-toi, s’il te plaît, Mel. Pars pas comme ça. Faut se parler.
Tu veux qu’on se parle?
Oui.
De quoi tu veux qu’on parle, Tom? Tu vas encore me reprocher d’être jalouse? Je le sais que je suis jalouse, ok. J’y peux rien. C’est plus fort que moi. J’essaie de changer, de m’améliorer, mais je suis pas capable. Comprends-tu ça? Comprends-tu que je n’ai pas changé depuis qu’on est ensemble, Tom? Que je suis la même crisse de fille insécure, jalouse et fragile que j’étais quand tu m’as rencontrée? Fait trois ans qu’on est ensemble, pis je n’avance pas. Je suis au même point. Je suis juste plus vieille et plus grosse.
Arrête, Mel.
Non, j’arrêterai pas, Tom. T’es mon chum, t’es supposé de m’aider à devenir une meilleure personne. Je pensais que c’était ça, être en couple. Moi, est-ce que je t’aide à être meilleur?
Non. Oui. Je le sais pas, Mel. C’est pas à ça que je m’attends de toi, anyway.
Ben non, hein. C’est certain, toi, t’étais déjà parfait pis tu l’es encore.
C’est pas ça, Mel. Tu le sais. Pis arrête de dire que tu n’es pas une bonne personne. C’est pas vrai. T’es magnifique.
Aussi magnifique que Anne? Que Sophie? Que Josianne, Élodie, Patricia, pis toutes les autres poufiasses qui ont passé une couple d’heures dans tes draps, Tom?
C’est du passé ça, Mel. Aujourd’hui, je suis avec toi. Parce que je t’aime.
Je t’ai dit de ne pas me toucher.
Où vas-tu?
Prendre mes affaires.
Pourquoi?
Je m’en vais.
Où?
Sais pas. Chez ma sœur, peut-être. Au moins, elle ajoute pas de la crème pis du curcuma dans les recettes de Ricardo, elle.
Tu détestes ta sœur, Mel. Pis tu ne peux pas me dire que c’était pas meilleur comme ça, le souper.
Le gars est le plus grand cuisinier du Québec. Il est à la télé. Sur Internet. Il fait des revues, écris des livres. Il a son magasin. Mais c’est pas assez pour le Grand Tomas Langevin. Non, madame! Lui, il trouve que c’est pas assez bon, les recettes de Ricardo, faque il ajoute du câlisse de curcuma même s’il sait que ça donne des brûlements d’estomac à sa grosse blonde jalouse.
Ayoye.
Tu trouves ça drôle? Tu vas rire tout seul, mon homme, parce que je décrisse. Tu pourras appeler Anne, tiens. Fais donc ça. Je suis certaine qu’elle va mouiller juste à entendre ta voix. Depuis le temps qu’elle attend ça.
Vas-y, chez ta sœur, Mel. Va t’engueuler avec elle, comme d’habitude. Tu vas revenir assez vite. En rampant.
Compte pas là-dessus. Si je sors d’ici, je ne reviens plus.
Bye.
Of course. Je sais pas pourquoi je pensais que t’allais réagir autrement.
Bye, Mel.
Ça ne te fait rien de plus que ça? Trois ans, pis tu me laisses partir comme ça?
Tu veux changer. Tu veux être une meilleure personne. C’est toi qui l’a dit. Comme c’est pas avec moi que ça va arriver, on dirait, comme je ne te rends pas heureuse, t’es mieux de partir. Je t’empêcherai plus longtemps, Mel. Va. Sois heureuse.
C’est pas ça que je voulais dire, Tom.
Peut-être. Mais tu l’as dit. Avec beaucoup de conviction, d’ailleurs. Ça doit être parce qu’il y a quand même un soupçon de vérité derrière tout ça, non? T’es pas d’accord?
Je sais pas.
Ben c’est ça. Tu diras bonjour à ta sœur. Bye, Mel.
Je t’aime, Tom.
Bye, Mel.
Va chier!