ATTENTION : la chronique suivante divulgue des informations sur les romans Sauvage, baby et Les Chiens, de Patrice Godin.
Nous préférons vous en avertir.
Patrice Godin, dans votre roman Les Chiens, pourquoi avoir situé les souvenirs de votre héros, Sam, au printemps 2009, en Afghanistan?
Les opérations militaires étaient importantes en Afghanistan en 2009. Aussi, j’avais besoin de distance entre le passé et le présent. Donc, 2009, ça cadrait bien avec ce qui est raconté dans Sauvage, baby. J’ai situé le cœur de l’action en 2019. Ç’aurait pu être 2020, mais la pandémie a changé la donne; 2020 sera à jamais une année marquée par cet évènement. Même en fiction, on ne pourra éviter les masques, la distanciation, les restrictions. C’est pour cette raison que j’ai spécifiquement daté le temps présent.
Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans les missions effectuées par les Forces spéciales canadiennes à l’étranger?
Ces opérateurs sont entraînés au plus haut niveau. Ce sont des guerriers d’élite, prêts à mourir pour leur mission, leur pays, leurs camarades. Ce sont des protecteurs, des « chiens de berger ». Ils vont là où peu de gens osent s’aventurer. Je trouve ça noble et puissant. Le don et le dépassement de soi, l’idée du sacrifice pour sauver les autres autour de nous. J’ai énormément de respect et d’admiration pour les militaires, ainsi que pour les pompiers et les policiers. Parfois, j’ai l’impression de m’être trompé de parcours. Je dis ça un peu en souriant. J’ai fait ma vie et c’est parfait, je n’ai pas de regrets, mais j’ai un regard différent maintenant.
Dans votre roman, on comprend vraiment de quelle manière les blessures de guerre, physiques et psychologiques, marquent les vétérans à vie. Certains soldats reviennent de leurs missions avec une peur précise : celle que leurs victimes (ou les familles de celles-ci) les retrouvent pour se venger. Vous êtes-vous basé seulement sur cette peur pour créer Les Chiens, ou sur un récit raconté par un des vétérans que vous connaissez?
Je ne sais pas s’ils ont peur d’être « retrouvés ». Je ne vois d’ailleurs pas les gens qu’ils chassent, qu’ils traquent ou qu’ils tuent comme des « victimes » : ce sont des monstres, des êtres prêts à tout pour imposer leurs idéologies, leurs doctrines, leur vision obscurantiste du monde. On a peut-être tendance à l’oublier. Les soldats qui reviennent du combat avec un stress post-traumatique, ce peut être pour une multitude de raisons. Pour avoir discuté avec un ami qui a été opérateur au sein du JTF2 et qui vit avec un PTSD, j’ai compris que ce n’était pas un évènement unique ou particulier qui l’avait frappé, que c’était plutôt un paquet de facteurs. C’est très complexe. Et ça ne vient pas d’avoir tué des combattants ennemis, pas dans son cas du moins.
En ce qui concerne Sam, il a franchi une ligne dans Sauvage, baby. Il a tué pour sauver la femme qu’il aime et il a caché les preuves, brûlé les corps. Il a commis un crime, un double meurtre. Et ça le hante. Parce que Sam n’est pas un tueur. Je reviens à l’idée du protecteur. Il n’a pas tué « gratuitement » et il a abattu des pourris, mais n’empêche, ça ne le place quand même pas au-dessus de tout. Il en est conscient et ça le travaille. Dans Les Chiens, il est aussi fortement habité par ce carnage auquel il a assisté, impuissant. C’est beaucoup cette douleur-là qu’il porte, ces vies innocentes qu’il n’a pu sauver.
Sam n’a pas peur des Kowalski. Il n’y pense même plus. Ce sont les évènements qui le ramènent à eux. Je ne voulais pas que les ennemis soient des insurgés, des djihadistes ou des islamistes. Ça ne m’intéressait pas d’aller là. Je trouvais intéressant qu’ils soient du même monde que Sam, que ce soit des Occidentaux, pas des « étrangers ». Le mal et la cruauté n’ont pas de nationalité. Il y a des gens terribles qui naviguent dans notre monde, qui peuvent être nos voisins, même nos amis. Et la montée de l’extrême-droite (tout comme celle de l’extrême-gauche) est un enjeu réel et inquiétant.
Avez-vous, comme Sam, vécu un événement traumatique (un point de rupture) pour être aussi bien capable de décrire les conséquences d’un stress post-traumatique chez un homme?
Je ne connais rien des blessures causées par la guerre. Mais j’ai mes propres blessures, bien sûr, comme tout le monde, qui ne sont en rien semblables à celles de Sam ou de réels opérateurs, toutefois. Le fait d’être acteur m’aide peut-être à plonger à l’intérieur d’un personnage quand j’écris. J’essaie de m’imaginer ce que tel évènement a pu lui faire. Je ferme les yeux et je me laisse habiter par ça. Si j’étais Sam, comment est-ce que je me sentirais, comment est-ce que je réagirais? J’ai procédé de la même façon pour créer Alexia dans Sauvage, baby, même si elle est encore plus éloignée de moi que peut l’être Sam.
Avec Boxer la nuit, Sauvage, Baby et Les Chiens, le fait que votre héros ressente un désir impératif de se battre devient un thème central de vos récits. Pourquoi cela vous fascine autant, ce feu intérieur qui pousse un homme à mettre sa vie en danger?
Je cherche moi-même à me mettre en danger, d’une certaine façon. Sortir du confort de mon quotidien pour me pousser ailleurs. Bien sûr, je ne me lève pas le matin pour aller combattre et mettre ma vie en jeu. Mais courir des ultramarathons est une façon de me confronter au danger, à un certain degré. Courir trente, quarante, quatre-vingt heures dans les montagnes, pratiquement seul, avec un petit sac à dos et de l’eau, c’est extrême et, bien que contrôlée, ça demeure une activité qui comporte des risques. C’est important pour moi de le faire pour apprécier la vie et la chance que j’ai. On prend trop facilement notre existence parfaite pour acquis.
J’aime aussi beaucoup les sports de combats. J’ai 52 ans, je boxe un peu, mais rien de sérieux. Je voulais commencer à faire du Jiu-Jitsu cet automne, mais la COVID m’en empêche pour le moment. Comme je suis en tournage et que je ne veux pas transmettre le virus à mes camarades de travail ainsi qu’à ma famille et aux gens qui m’entourent, j’ai le devoir de prendre toutes les précautions possibles. Commencer à lutter au corps-à-corps n’est pas la meilleure idée présentement. Je saurai me reprendre quand tout sera terminé. Si j’étais plus jeune, je pousserais plus vers ça, les arts martiaux, la boxe. Quand j’avais 15-16 ans, dans l’environnement où j’ai grandi, ces sports n’étaient pas accessibles. Ils n’étaient pas particulièrement populaires auprès de mes parents non plus…
Sam est souvent pris avec un « vide » intérieur. Pouvez-vous décrire ce vide?
Ce vide, c’est le mien. Celui que je ressens depuis aussi longtemps que je me souvienne. Je ne sais pas d’où il me vient. C’est un sentiment de perte, d’abandon. Un sentiment d’impuissance, aussi, face au bruit et à la fureur. Malgré cela, je demeure quelqu’un d’optimiste. Je crois à la beauté au-dessus de la laideur, à la lumière plus forte que l’obscurité. Le vide de Sam est peut-être plus lourd, plus « chargé », mais Sam s’accroche à la beauté de la nature, aux lumières que sont Alexia et sa fille Clara dans sa vie.
Alexia, l’amoureuse de Sam, est devenue une femme forte dans cette suite, même si elle est encore prise avec ses démons intérieurs. Pourquoi avoir choisi qu’elle devienne une experte dans le dressage canin?
Initialement, il y a quatre ou cinq ans, je songeais à l’histoire d’un opérateur des Forces spéciales devenu dresseur de chiens. Puis, j’ai pensé à une histoire différente concernant une jeune femme transgenre. Ces deux histoires mises ensemble ont donné Sauvage, baby. Pour la suite, j’avais envie de donner une passion propre à Alexia, quelque chose de fort qui soit à elle, qui impressionne Sam. Le dressage de chiens s’est imposé de lui-même. J’aimais l’idée qu’Alexia ait ce don avec les animaux, cette connexion.
Chaque auteur laisse une partie de lui-même dans son personnage principal. Quelle est la part de Patrice Godin chez Sam?
Sam a mon côté solitaire. Je suis un homme de famille et Sam l’est aussi, bien qu’il ait raté son mariage et qu’il ait l’impression de ne pas avoir été assez présent pour sa fille. Sam se sent proche de la nature, tout comme moi. J’ai grandi à la campagne, sur le bord d’un lac, et après plus de trente ans en ville, je souhaite maintenant retourner vers ce calme, cette tranquillité. De mon côté, j’essaie « d’apprendre » de Sam son sens du sacrifice, sa force et son courage.
En ce qui concerne les groupes, dans le monde, qui ont pour but d’instaurer le chaos pour bouleverser l’ordre établi, de déstabiliser les gouvernements, pourquoi était-ce important pour vous d’en parler dans Les Chiens?
On vit à une époque étrange. La polarisation de notre société atteint des extrêmes et pourtant, plusieurs personnes semblent ne pas s’en inquiéter. Personnellement, je suis plus troublé par cela que par la pandémie (que je ne nie pas, bien au contraire). De voir un Trump au pouvoir aux États-Unis est terrible. Rien ne semble l’arrêter. S’il est réélu, j’ai bien peur que ce soit la fin des USA telles que nous les avons connues.
On met beaucoup d’emphase, et avec raison, sur les groupes terroristes comme Daech ou Al Quaïda, sur les talibans. Mais il existe des organisations aussi nocives en Occident. Des gens des extrêmes qui cherchent à tout prix à imposer leurs idées et à s’approcher du pouvoir. Grâce à Trump, ainsi qu’aux réseaux sociaux, ils ont maintenant une voix qu’ils n’avaient pas auparavant. Je ne dis pas qu’il faut vivre dans la peur, bien sûr que non, mais il faut avoir l’oeil ouvert, être attentif et ne pas banaliser ces choses.
Présentement, de voir à quel point le gouvernement du Québec ne semble pas porter attention aux mouvements complotistes et anti-masques m’apparaît inconcevable et même irresponsable. Naturellement, la situation est exceptionnelle et il y a une multitude de choses à gérer. Mais de simplement banaliser le phénomène, je crois que c’est une erreur.
Le thème de la vengeance est un autre thème important dans ce roman. Pourquoi?
Dans Sauvage, baby, c’est le drame d’Alexia qui prédominait, son histoire. Dans Les chiens, je voulais explorer le personnage de Sam. Voir d’où il venait, ce qu’il portait en lui. Comme je voulais garder Alexia « à l’abri », d’une certaine façon, je ne suis pas revenu sur les évènements qui ont eu lieu dans Sauvage, baby.
J’ai cherché dans le passé de Sam et cette histoire de vengeance s’est imposée. J’ai complexifié la chose, car, à la fin, tout n’est pas noir ou blanc. Il y a beaucoup de zones grises. Qu’est-ce qui est bien? Qu’est-ce qui est mal? Y a-t-il de bonnes raisons de vouloir se venger? Sam vaut-il mieux que les Kowalski? Même lui ne peut répondre à la question. Et honnêtement, bien que je penche de son côté, je n’ai pas de réponse non plus. À prime abord, se venger (ou se faire justice) n’est pas une bonne option. Mais…
Comment vivez-vous, en tant qu’homme et auteur, face à la sauvagerie que vous voyez dans le monde actuellement (sauvagerie que vous décrivez bien dans votre œuvre)?
Je suis optimiste malgré tout. Il ne faut pas se laisser gruger par la peur, par l’inquiétude. Nous vivons une période d’instabilité présentement et j’espère que nous pourrons retrouver notre équilibre. J’espère aussi que certaines choses, certains comportements changeront. Il va falloir cesser de se polariser, aussi. Reprendre la discussion, dialoguer, s’ouvrir aux autres, faire des concessions. Je crois qu’on peut y arriver, mais pour cela, il va peut-être falloir cesser de s’enfermer dans nos petites convictions personnelles et reprendre l’écoute, d’un côté comme de l’autre. Je souhaite qu’on y arrive. Pour le bien de nos enfants et des générations à venir. Il ne faut juste pas être naïf et croire que tout se règlera d’un claquement de doigts, d’un coup de baguette magique…
Quels sont vos prochains projets d’écriture?
Je prends des notes pour un prochain roman provisoirement intitulé La fille du nord. Une histoire de survie et de monstre marin, quelque chose que je nomme comme un « western métaphysique, insulaire et norvégien ». J’en suis encore à l’étape où j’explore les différentes avenues du récit lorsque je cours. Ce sera l’histoire de Teresa, une jeune femme de 18 ans, formée à la survie, qui ira se réfugier dans une île norvégienne au moment même où un monstre marin fait son apparition dans les eaux glacées du fjord. J’ai envie d’explorer une certaine forme de réalisme magique.
EXTRAIT DU ROMAN LES CHIENS
Malgré tout, ces turbulences intérieures n’étaient jamais loin, elles se dessinaient en arrière-plan, ombres vaporeuses, sournoises, et il lui arrivait de les entendre gronder comme un orage en préparation. Il pouvait les contenir, les restreindre, il les cloisonnait dans une partie éloignée de son cerveau. Pour le moment, ça allait. Il se sentait revivre.
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