Bonjour, Mo Malo. Summit est la 4e enquête policière de votre personnage principal, Qaanaaq Adriensen. Cette série de romans a été un véritable coup de cœur pour moi. Dans quel contexte, dans votre vie, les aventures de cet homme vous sont-elles venues à l’esprit ?
Il y a près de cinquante ans, quand j’étais tout petit garçon, ma marraine m’a offert une figurine inuit en peau de phoque, un ukpik, qu’elle avait rapportée d’un voyage au Groenland. Cet objet me fascinait. Je l’ai d’ailleurs placé entre les mains de mon personnage principal, Qaanaaq, lui-même enfant. Quelques décennies plus tard, je m’interrogeais sur les territoires qui n’avaient pas encore été « explorés » à travers le polar et j’ai logiquement repensé au Groenland. À partir de là, je me suis énormément documenté sur le pays, puis je m’y suis rendu et j’ai été sidéré par le fossé entre, d’une part, la méconnaissance totale qu’on a de cet endroit dans les pays occidentaux (y compris au Danemark) et, d’autre part, par l’importance cruciale de ce territoire pour l’avenir de notre planète (pour des raisons climatiques, énergétiques, géopolitiques, etc.). C’est donc pour combler ce fossé, à ma petite échelle et avec mes modestes moyens, que je me suis lancé dans cette saga. Pour que le Groenland ne demeure pas, pour nous occidentaux, une grosse tache blanche sans histoire sur nos planisphères.
Pourquoi avoir choisi le Groenland pour que Qaanaaq Adriensen puisse résoudre ses enquêtes ?
En voyageant sur place, en développant des contacts avec la population inuit, je me suis aussi rendu compte que ce pays était en proie à un déchirement terrible. Entre l’influence danoise et la culture inuit. Entre la modernité et les traditions locales. Entre sa soif d’indépendance et le risque de dénaturer sa nature si merveilleuse, notamment par l’exploitation intensive de ses incroyables ressources géologiques, exploitation qui sera pourtant à l’avenir LA condition de son indépendance financière et donc politique.
J’ai trouvé intéressant, pour rendre compte de cette situation comme pour le plaisir de mes lecteurs, que mon personnage principal, Qaanaaq, soit à l’image de ces tiraillements, pris en permanence entre deux feux : sa hiérarchie policière, à Copenhague, et ses nouvelles attaches amicales et amoureuses à Nuuk, la capitale du Groenland.
Quel type de recherche faites-vous avant d’écrire un roman mettant en vedette ce personnage ?
C’est un joyeux mélange de lectures, de recherches documentaires pures (en bibliothèque, dans des archives, etc.), de témoignages recueillis et aussi de voyages sur place, avec tout ce que cela comporte de collecte d’informations très diverses (photos, vidéos, entrevues, objets, etc.). Comme je suis un ancien journaliste et que je suis plutôt méthodique, je passe pas mal de temps à trier tout cela au préalable, avant même de construire mon histoire. C’est une sorte de fondation sur laquelle je vais m’appuyer pour recomposer un réel de fiction.
Vous êtes un photographe extrêmement doué. D’ailleurs, sur vos réseaux sociaux, il est possible d’admirer le Groenland dans toute sa splendeur. Dans Summit, vous accordez une place encore plus importante à cet art, car Qaanaaq, tout comme vous, adore prendre des photos. Dans quelle mesure votre passion pour la photographie a-t-elle eu un impact sur la personnalité de votre héros ?
Difficile de dire pourquoi, mais, quand j’ai conçu ce personnage, j’ai immédiatement imaginé que sa grande passion serait la photo, en particulier le paysage et le noir et blanc. Comme tu le sais, Qaanaaq a des traumatismes enfantins assez lourds (massacre de ses parents biologiques, adoption à 3 ans et déracinement, etc.). Je pense donc que dans sa psyché, il est assez logique d’imaginer qu’il se raccroche à tout ce qui le rassure, ce qui lui donne le sentiment inconscient de maîtriser la réalité qui l’entoure. Et c’est quoi, prendre des photos, si ce n’est enfermer le monde qui nous entoure dans une boîte et dans un cadre ? La photo offre une sensation très gratifiante de contrôle. Dans le même ordre d’idées, son amour des proverbes constitue aussi un ancrage rassurant : il aime l’idée que des phrases simples contiennent toutes les réponses (ou presque) à ses grandes questions métaphysiques.
Ce qui est fascinant, dans vos romans, c’est de découvrir de quelle manière vivent réellement les Groenlandais, quelles sont leurs traditions, leurs techniques de survie, leur façon de s’exprimer, d’aimer, et ce, à travers les aventures de Qaanaaq. De quelle manière réussissez-vous à inclure ces informations dans la trame narrative sans que cela devienne trop descriptif ?
Ça va paraître bizarre, mais j’essaie d’oublier ce que je sais ! Bien sûr, je me documente énormément avant, aussi bien à partir de mes recherches livresques que de mes propres voyages. Mais en cours d’écriture j’évite de me référer à mes notes trop fréquemment. Je cherche surtout à m’immerger dans l’ambiance, à tenir le tempo de mon récit. Ce que je restitue comme connaissances documentaires, ce n’est que ce qui me reste en mémoire, et pas un copié-collé scolaire de mes classeurs. J’essaie donc de me faire confiance et de privilégier le vécu sur le su. Et dans l’ensemble, ça a l’air de faire un mélange pas trop indigeste !
Ce livre est surtout centré sur la survie. Survie physique, émotionnelle, psychique… Pourquoi avoir choisi de placer votre héros dans une telle situation au cœur du Groenland ?
Parce qu’elle va le forcer à faire des choix. Parce que la confrontation à un contexte aussi extrême pousse nécessairement à remettre en cause ce que l’on est, ou plutôt ce que l’on croit être. Qaanaaq oscillait depuis des années déjà (et trois tomes) entre ses deux cultures, inuit et danoise, et cette fois-ci, un ensemble de paramètres nouveaux vont le forcer à trancher, à décider QUI il veut réellement être, en particulier pour son entourage proche, aussi bien professionnel (Apputiku) que personnel (Massaq et ses trois enfants).
Pouvez-vous expliquer aux Québécois pourquoi ils devraient lire Summit, et les 3 romans qui le précèdent ?
Je n’ai pas la prétention d’expliquer quoi que ce soit aux Québécois ! Mais s’ils me font l’amitié de me lire, je pense qu’ils retrouveront d’une part certaines ambiances hivernales qu’ils connaissent bien. Par ailleurs, ceux d’entre eux qui sont déjà allés au Nunavik, ou qui côtoient la communauté inuit du Canada, y trouveront une immersion, je l’espère, encore plus profonde dans cette culture si singulière et si belle.
Avez-vous l’intention de faire vivre une autre aventure à Qaanaaq Adriensen ?
L’intention, bien sûr, car je ne pense pas avoir fait le tour ni de ce pays, le Groenland, ni de cette culture. Reste à savoir quoi raconter exactement, comment faire encore évoluer mon personnage pour que mes lecteurs n’aient pas un sentiment désagréable de répétition. Ce processus-là, de gestation, est en cours.
Avez-vous écrit d’autres romans sous un autre nom ?
Oui ! Énormément ! Au moins une grosse vingtaine d’autres romans, sans compter le hors fiction, sous deux autres pseudos principaux, et au total huit identités différentes. De ce point de vue, je suis un peu difficile à pister. Mais j’aime cette pluralité, cette possibilité d’endosser une identité différente par genre que j’explore. J’ai besoin de cette diversité.
Si Qaanaaq devait formuler une phrase pour résumer ce qu’il a compris de la vie dans ce 4e tome, quelle serait-elle ? Il choisirait sans doute l’un de ces proverbes qu’il affectionne tant. Je pense par exemple à ce proverbe inuit, assez adapté à ce tome : « seuls le temps et la glace sont maîtres ».