Bonjour, Mario Tessier! Pourquoi avoir choisi de parler du multivers dans votre nouvelle de science-fiction publiée dans la revue Solaris?
Je me suis inspiré de deux de mes écrivains préférés : Italo Calvino, auteur de Les Villes invisibles (1972), et Ken Liu, traducteur de la nouvelle Invisibles Planets (2016), de Hao Jingfang. Ces deux histoires énumèrent un catalogue de lieux improbables. Je voulais faire dans le même genre en travaillant dans la direction implicite suggérée par l’auteur chinois. Ces écrivains avaient d’abord parlé de localités urbaines, puis planétaires. Il me fallait donc choisir quelque chose de plus important encore : l’univers, ou mieux encore, l’infinité des cosmos formant l’ensemble du multivers.
Pour quelle raison le multivers vous fascine-t-il?
Le multivers est une théorie scientifique développée dans les années 1950 par le physicien américain Hugh Everett pour expliquer certains phénomènes quantiques. Elle présuppose que notre cosmos coexiste avec de nombreux autres univers peu ou prou identiques, qui se divisent continuellement en univers divergents, différents et inaccessibles entre eux. (En soi, cette théorie tient plus de la métaphysique que de la physique, car elle ne peut être prouvée expérimentalement. Ce qui est bien pratique pour un auteur de science-fiction.) Les écrivains de science-fiction ont donc pu exploiter cette théorie comme artifice littéraire pour expliquer leurs histoires contrefactuelles et imaginer des mondes bizarres. Le thème des univers parallèles m’a toujours fasciné, sans doute parce qu’il justifie scientifiquement toutes les littératures de genre. Notons que d’excellentes séries télévisées se sont servies explicitement du multivers, par exemple : Sliders, Fringe, ainsi que la récente série d’animation What If, de Marvel.
Dans votre nouvelle, un explorateur du multivers décrit ses pérégrinations et découvertes. Comment avez-vous créé tous les univers insolites dans cette histoire?
Il y avait longtemps que je voulais imiter l’esprit derrière le livre d’Alan Lightman, intitulé Quand Einstein rêvait (1993). Dans ce roman, l’auteur explore, en de très courts chapitres, des mondes où les constantes universelles sont différentes de notre cosmos, par exemple où la vitesse de la lumière serait très lente, où la gravité changerait selon l’altitude, etc. De la même manière, j’ai donc pensé à des univers où certaines lois physiques seraient modifiées, comme la vitesse de récession des galaxies, la flèche du temps, la cosmogonie et l’astronomie, etc. Évidemment, je vais un peu plus loin en imaginant que la nature humaine puisse changer, elle aussi. En ce sens, je touche un peu au réalisme magique de Calvino. Mais il s’agit surtout d’appréhender comment nous pouvons réagir à un monde singulier, divergent ou nouveau.
Utilisez-vous des ouvrages de référence pour vous inspirer?
Constamment! J’aime la science et sa fille, la science-fiction. Pour rester fidèle au genre, je crois qu’il faut faire le maximum pour respecter les faits scientifiques. Mais au-delà de cette adhérence au monde réel, les théories scientifiques et les innovations technologiques restent pour moi ma principale inspiration. Par exemple, les intelligences artificielles, le clonage, l’exploration lunaire et la singularité m’ont suggéré mes meilleures nouvelles. Quelquefois, ce peut être des inventeurs ou des savants qui peuvent nous offrir un point de départ pour nos histoires, comme Nikola Tesla, par exemple. Je suis aussi influencé par certains objets que je possède, comme des trilobites fossiles. J’ai mis sur pied un petit cabinet de curiosité, dans lequel je recueille des artefacts scientifiques et des merveilles du monde naturel. En étant curieux de tout, il est facile de trouver des centres d’intérêt et des sujets de fiction.
Si vous étiez un Voyageur interdimensionnel, quel univers, dans votre nouvelle, visiteriez-vous et pourquoi?
Question difficile! Peut-être choisirais-je de visiter le cosmos où les constantes fondamentales varient périodiquement. Je voudrais connaître les habitants de ces mondes, voir comment ils s’habituent à ces changements continuels et comment ils sont dissemblables des humains de notre univers. C’est en nous comparant à l’Autre que nous parvenons à mieux nous comprendre.

L’auteur Mario Tessier
Quelles sont vos règles d’or lorsque vous écrivez une nouvelle de science-fiction?
Toutes les règles sont faites pour être brisées. Mais personnellement, j’aime obéir aux données de la science, car je fais souvent dans la science-fiction savante. De plus, la science-fiction est une littérature d’idées. À défaut de trouver une idée originale, je tenterai au moins de la traiter manière originale. Et j’évite de mélanger les genres, sauf en ce qui a trait au polar. La SF et le polar sont deux genres qui se marient très bien, à cause de la notion d’enquête — criminelle ou scientifique — à la base de la narration.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui aimerait en écrire une?
J’aimerais d’abord lui conseiller de lire des histoires de science-fiction! L’auteur débutant, qui n’a pas lu les classiques du genre, risque d’écrire des choses qu’il pense originales alors qu’elles sont passées dans le domaine public depuis des décennies. La connaissance du genre est donc un atout pour ne pas répéter les idées de ceux qui nous ont précédé. Je lui suggérerais ensuite de regarder les émissions de vulgarisation scientifique comme Découverte et de jeter un coup d’œil aux revues scientifiques comme Québec Science et Scientific American pour y puiser son inspiration.
Lisez-vous des romans qui parlent de multivers, de réalités parallèles et de l’infinité des scénarios de vie? Si oui, quels sont vos auteurs préférés?
J’aime énormément les uchronies et les univers parallèles où le monde a changé à partir d’un point de divergence historique, sans doute à cause de ma formation d’historien. Parmi mes œuvres préférées, il y a les grands classiques comme La Patrouille du Temps de Poul Anderson, Le Maître du Haut Château de P. K. Dick, Fatherland de Robert Harris, Roma Eterna de Robert Silverberg, ainsi que les romans de Johan Heliot et de Xavier Mauméjean.
Vous publiez souvent dans la revue Solaris. Selon vous, pourquoi les amateurs de science-fiction et de fantastique devraient-ils s’abonner à la revue?
Il est vrai que je publie souvent dans Solaris, puisque j’y rédige une chronique régulière depuis 18 ans. Mais c’est également le principal débouché pour mes écrits parce que je considère qu’il est le lieu privilégié des littératures de l’imaginaire au Québec. C’est la meilleure méthode pour être en contact avec la communauté de lecteurs et d’écrivains de genre d’ici. Solaris n’est pas le seul magazine québécois sur les littératures de genre, mais c’est le plus ancien et le plus important magazine francophone sur le sujet en Amérique du Nord. Je pense que tous ceux qui s’intéressent à la science-fiction, au fantastique et à la fantasy devraient s’abonner au magazine pour se tenir au courant des nouveautés, des courants littéraires, des jeunes auteurs qui montent ainsi que des controverses du moment.
Notons que Solaris est la plus vieille revue de science-fiction du monde et qu’elle a fêté ses 50 ans d’existence, alors que les magazines français n’ont pu égaler ce record, bien que la France dispose d’une population bien plus importante que la nôtre. J’ajouterai que l’appui des lecteurs est indispensable aux revues littéraires. La revue Alibi, qui était consacrée à la littérature policière québécoise, s’est éteinte en 2016 après une soixantaine de numéros, parce qu’elle manquait d’abonnés. Donc, si vous avez un minimum d’intérêt pour les littératures québécoises de l’imaginaire, abonnez-vous. Vous vous assurerez ainsi de garder vivant un futur marché pour vos écrits et de pouvoir lire les meilleurs auteurs d’ici et d’ailleurs.
Pour un auteur en devenir, lui suggéreriez-vous de participer au Prix Solaris? Si oui, pourquoi?
Absolument. Le Prix Solaris est une vitrine qui permettra au jeune auteur montant de trouver son public et, peut-être aussi, de trouver un éditeur susceptible de publier ses œuvres subséquentes. Mais avant de participer à ce concours, il lui faudra s’assurer qu’il possède bien les bases de l’écriture parce qu’il sera en compétition avec les meilleurs écrivains du milieu. Il ne serait pas inutile d’avoir un peu d’expérience en ayant déjà proposé et publié des nouvelles dans des revues. Bonne chance!