En cette Journée internationale de la femme, Sébastien Duperron nous dresse le portrait d’une femme qui l’a inspiré à devenir le lecteur et auteur qu’il est aujourd’hui, celle qui a nourri sa passion des mots du premier au dernier jour : Maman.
La femme qui m’a le plus inspiré dans mon parcours d’auteur
n’a jamais écrit un mot de sa vie. Je dirais que sans elle, moi non plus, je
n’aurais jamais écrit.
Ma mère était une grande lectrice. Il y avait toujours un
livre sur la table près du fauteuil où elle s’assoyait pour regarder la télé. Et
il y en avait toujours plusieurs autres répartis un peu partout dans la maison.
Pendant des années, il y avait 3 grandes bibliothèques en bois
avec des portes en miroir dans le salon. Elles contenaient des bibelots, des
photos, des bouteilles d’alcool (!) et des jeux de société. Mais les livres
étaient les véritables trésors, ces objets qui piquaient toujours ma curiosité.
Je me souviens entre autres d’une série de romans policiers
en format poche écrits par Pierre Saurel : Le manchot. Les pages
couvertures m’attiraient, le résumé sur la couverture arrière aussi, mais ma
mère me disait toujours que j’étais trop jeune pour les lire. J’imagine qu’aujourd’hui,
cela ne s’applique plus, mais je ne les ai toujours pas lus! (En faisant une
recherche pour cet article, j’ai trouvé un site sur lequel on peut télécharger
tous les livres en format numérique. Enfin ma chance!)
Maman, pilote du Taxi-livres
Quand j’étais plus jeune, je dévorais les livres. Je pouvais
passer des soirées, couché dans mon lit, à lire un bouquin ou un autre. Sitôt
que j’avais terminé, j’en commençais un autre. Cela demandait un
approvisionnement qui aurait détruit le plus élastique des budgets.
Je devais donc me rabattre sur la bibliothèque municipale.
Malheureusement, celle-ci était située plutôt loin de notre domicile. Je ne
conduisais pas encore et je n’avais pas toujours le goût de me taper le long
périple en transport en commun.
Donc…
« Mom, j’aimerais ça aller à la bibli… »
Cinq minutes plus tard, elle était derrière le volant de ce
que j’appelais le Taxi-livres.
Pendant que je sillonnais les rayons à la recherche de mes
prochaines lectures, ma mère m’attendait patiemment, peu importe combien de
temps je prenais. Curieusement, elle n’empruntait jamais (ou presque) de livres;
elle préférait acheter ses livres.
Chaque année, en novembre, nous avions notre propre
tradition : une visite au Salon du livre de Montréal, à la Place Bonaventure. Parfois,
nous prenions le train. Quelle aventure que de visiter la grande ville pour un
garçon de 8 ans du West Island! Elle m’achetait toujours au moins un livre que
je m’empressais d’ouvrir lors du retour.
Puis, les années ont passé. Nous avons vieilli. Je n’avais
plus besoin du Taxi-livres. Notre intérêt pour le Salon du livre s’est atténué.
Mais, surtout, je pouvais utiliser mon argent pour (enfin!) lui
acheter des livres. Quel bonheur! Elle pouvait compter sur moi pour recevoir un
livre à Noël, à son anniversaire, à la fête des mères ou même, parfois, parce
que j’avais lu un bon livre en anglais et que j’avais envie qu’elle lise la
version française. Ou parce que je trouvais qu’un livre avait l’air bon et que
je savais que je pourrais lui emprunter après qu’elle l’aie lu!
Un seul mot suffit
Voilà plus de 6 ans, déjà, qu’elle est partie. Lorsque nous
avons récupéré ses effets dans sa chambre d’hôpital après son décès, il y avait
un roman.
Je me console un peu en sachant que ma mère aura été une
lectrice jusqu’à ses derniers instants.
Je m’ennuie de bien des choses, bien sûr. Surtout, je
m’ennuie de partager mes lectures avec elle, de l’appeler pour lui demander ce
qu’elle lit en ce moment. Ou de lui remettre quelque chose que je viens
d’écrire, tout droit sorti de mon imprimante, pour qu’elle le lise et qu’elle
me dise que c’est très bon, même si je sais que c’est infect. On ne peut pas
empêcher un cœur de mère d’aimer, après tout!
Il me reste une panoplie de souvenirs d’elle dans ma tête et
dans mon cœur. J’ai une pile de signets avec sa photo qui avaient été préparés
par les gens du salon funéraire.
Ainsi, ma mère m’accompagne encore dans mes lectures.
Surtout, il me reste l’amour de la lecture, le plaisir de
découvrir une nouvelle histoire, de nouveaux mondes. De voir où cela mènera.
Tout cela, c’est grâce à toi, maman.
Merci.