Voici la nouvelle gagnante du Concours de récits Allez, raconte de septembre 2020, dont le thème était Les vacances d’été. Félicitations à Cassandra Loiselle.
MOT DE L’AUTEURE
Chez moi, les vacances d’été rimaient avec séjour au chalet familial. Mes parents possédaient un joli lot au beau milieu de la forêt, un chemin de terre le reliant à la civilisation. J’y retrouvais chaque année mes chers cousins et cousines. Commençaient alors plusieurs semaines de baignade dans le lac à proximité, de sable dans le maillot de bain et de poursuites à vélo, tout cela enrobé de l’odeur du chasse-moustiques dont nous nous aspergions pour faire fuir les insectes piqueurs. Les soirées se passaient autour du feu après un énorme cornet de crème glacée à la crèmerie du village. La bouche encore barbouillée de l’onctueux dessert, moi et mes cousins nous nous racontions des histoires à en dormir debout. J’avais peur, mais je ne le laissais pas paraître; j’étais bien trop orgueilleuse.
— Laura, est-ce que tu m’écoutes?
Sortie bien malgré moi de mes pensées, j’acquiesçai. Pas de chalet pour moi cette année. Mes parents s’étaient divorcé récemment, à l’hiver pour être plus précise. Depuis, mes parents me trimballaient, moi et ma petite valise rouge entre leur appartement respectif. Le chalet avait été mis en vente. J’espérais qu’il ne soit pas acheté avant l’été, histoire de pouvoir en profiter une dernière fois, mais mon vœu ne s’était pas réalisé. Jusque-là, ce n’était pas la mer à boire. Je m’y attendais. J’avais quand même 15 ans. Je devais faire preuve de maturité. Ce qui me dérangeait par contre était ceci : mon père partait en vacances avec ma belle-mère (qui était horrible soit dit en passant) et ma mère devait s’absenter pendant plusieurs semaines pour un voyage d’affaires. J’irais donc chez ma grand-mère à Howick pour cet été. Comprenez-moi bien, j’adore mon aïeule, mais ce village était, dans mes souvenirs, d’un ennui mortel. Il n’y avait strictement rien à y faire sans compter que rares étaient les personnes de mon âge qui y résidait.
Le jour du départ, j’embarquai dans le véhicule, maussade. J’enfonçai la touche Power de mon Walkman et mis mes écouteurs. La voix de Jean Leloup emplit mes oreilles. La cassette audio de son album « L’amour est sans pitié » était mon plus grand trésor; je l’écoutais sans arrêt. Les chansons défilèrent au même rythme que les paysages.
Lorsque maman me déposa, elle me fit un rapide bisou et me souhaita un bel été. Ouais, belles vacances en perspective… Je me traînai jusqu’à la sonnette de la demeure de ma grand-mère. Elle m’accueillit comme à son habitude en me plantant un gros baiser sur chaque joue et en me serrant dans ses bras. Puis, elle me proposa un goûter. Je souris. Mon séjour n’allait peut-être pas être si désagréable que cela.
Elle me laissa m’installer dans la chambre d’ami. Je m’allongeai sur le lit avec mon Walkman et plantai mes écouteurs sur mes oreilles, me coupant du reste du monde. Ma grand-mère vint me chercher parce qu’elle avait une surprise pour moi. Je la suivis dehors, les écouteurs toujours sur les oreilles.
Vous pouvez me croire, le moment qui suivit fut magique. Ma cassette audio en était à la chanson « Cookie » lorsque je la vis. Ma mère détestait que j’écoute cette chanson qui parlait très explicitement de drogue, mais je l’adorais. J’en étais à sourire à cette pensée lorsque je LA vis. Elle descendait du balcon de la maison voisine. Ma grand-mère me dit quelque chose, mais je n’avais d’yeux que pour elle. Elle me sourit.
Comme elle est belle quand elle rit, elle ressemble à un cookie…
La chanson de Jean Leloup me martelait les oreilles tandis que je dévisageais l’adolescente qui s’avançait vers moi. Elle me tendit la main pour que je la serre. Je restai pantoise. J’observai ses longs cheveux qui tombaient en cascades soyeuses sur ses épaules, son sourire parfait, sa petite fossette et ses taches de rousseur.
— Laura? LAURA!
Je revins à moi. J’arrêtai mon walkman et je serrai la main de la jeune fille, la paume moite de tout ce que je ressentais.
— Laura, voici Marie-Lou. Elle est la petite-fille de mes amis, de mes voisins. Elle est aussi là pour l’été, comme toi. J’ai pensé que vous pourriez être amies.
Je hochai la tête en évitant le regard de la jeune fille. Elle m’intimidait. Je ne comprenais pas ce qui se passait en moi. J’avais chaud et j’avais perdu tous mes moyens à sa vue. Nous soupâmes tous ensemble, ma grand-mère, moi, le couple voisin et bien sûr Marie-Lou. Je la trouvais… belle, tellement… belle. Ce soir-là, j’eus beaucoup de difficulté à m’endormir. Je pensais à elle, je pensais à moi. Mais qu’est-ce qui m’arrivait? Je ne pouvais pas trouver une fille jolie, pas moi. Je glissai vers le pays des rêves avec la ferme intention de ne plus laisser cette fille me causer d’émoi de la sorte.
Le lendemain, ce fut elle qui vint toquer à la porte. Ma grand-mère la laissa entrer. Aussitôt que je la vis, mes résolutions de la veille fondirent comme neige au soleil. Elle voulait me faire visiter le village. Elle voulait aller manger une crème glacée. J’acceptai avec une joie non contenue, désireuse de passer du temps en sa compagnie. Je jetai mon Walkman dans mon sac et la suivit. En cette belle journée sans nuages, je découvris le village d’Howick en compagnie de Marie-Lou. Il n’y avait pas grand-chose à voir, mais ma nouvelle amie avait le don de me dévoiler tout le charme de l’endroit. La petite ville était entourée d’un boisé dense où nous nous réfugiâmes lorsque le soleil à son zénith devint trop bouillant.
— Qu’est-ce que tu écoutes sur ton Walkman?
Nous étions assises sur un vieux tronc d’arbre mort. La question me désarçonna. Mes choix musicaux étaient différents de ceux de mes amis qui préféraient le rock anglais. À ma grande surprise, elle s’intéressait au même type de musique que moi.
— Jean Leloup? Je l’adore!
Puis, elle me sourit, sa fossette si mignonne me narguant.
Je pense que c’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de Marie-Lou.
Les jours suivants, nous devînmes inséparables. Chaque journée était une nouvelle aventure avec elle : promenade dans les bois, collation au casse-croûte du coin et baignade dans la rivière environnante sans oublier les bières qu’elle chipait à ses grands-parents et que nous buvions en cachette dans les bois, à l’abri des regards. Je me délectais de ces moments, mais toujours en traînant mon honteux secret avec moi. Elle me faisait craquer. J’adorais tout d’elle : sa naïveté (elle ne voyait que le positif de chaque situation), son altruisme, sa façon de s’exprimer bien propre à elle. J’aimais aussi son petit côté entêté et rebelle. Elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. Je la découvris peu à peu tandis qu’elle se dévoilait à moi. Après deux semaines, j’avais le sentiment de la connaître de fond en comble. J’avais l’impression qu’elle savait tout de moi. Mais, je ne pouvais lui dévoiler l’affection que je lui portai; mes sentiments devaient rester secrets.
Ma grand-mère avait bien deviné que j’étais troublée, mais je ne me résolus pas à lui en parler. Je ne pouvais pas ouvrir la boîte de Pandore. Pas pour le moment du moins. C’est rien du tout, que je lui répondis, je m’ennuie simplement de chez moi, mentis-je. Elle me serra contre elle puis me proposa un goûter comme à l’habitude quand quelque chose n’allait pas. J’acceptai, la tête lourde de tout ce qui se passait en moi.
Je pris la décision d’arrêter de voir Marie-Lou. Elle ne pouvait pas me plaire, je savais que notre histoire était impossible. IMPOSSIBLE. Le lendemain, quand elle vint me chercher, je prétextai être malade. Je vis la déception dans son regard, mais je devais être plus forte que cela. Je me disais que c’était pour son bien. Je passai la semaine enfermée, la tête et le cœur plein de tout ce que Marie-Lou m’inspirait. J’avais tout gâché me disais-je.
Quelques jours plus tard, je ne pouvais pas prévoir ce qui arriva. Il faisait nuit, ma grand-mère dormait depuis longtemps. J’allais me préparer à me coucher aussi lorsque j’entendis un petit tapotement à ma fenêtre. Je sursautai. Marie-Lou se trouvait derrière la vitre. Je l’ouvrai précautionneusement.
— Hey, tête de linotte. Qu’est-ce que tu fais?
Je lui souris en haussant les épaules sans rien dire.
— Viens, on va se promener.
J’essayai d’inventer une excuse bidon, mais au regard qu’elle me lança, je compris que ce n’était pas une proposition; j’allais la suivre et c’était tout.
Je sortis de la maison sans bruit et la retrouva. Elle me demanda avec impatience ce que j’avais fait durant toute la semaine comme je ne voulais pas la voir. Elle ne me laissa pas répondre et me prit la main brusquement en avançant d’un pas décidé. Où va-t-on?, lui demandai-je.
— On va parler.
Elle me conduisit sur la berge de la rivière et s’assit par terre. Je l’imitai.
— Là, je veux que tu sois franche avec moi. Pourquoi tu m’évites?
Je détournai le regard.
— Laura. J’aime passer du temps avec toi, moi. Je pensais que c’était réciproque. Je le souhaitais du moins.
Puis, elle me dévisagea, un air triste sur le visage. Cette fois-ci, je soutins son regard, consciente du silence qui pesait entre nous. Les secondes s’écoulèrent. Plus le temps passait et plus j’avais envie de rire et je sentais bien que c’était la même chose de son côté.
— Tu m’as manqué, Marie-Lou.
— À moi aussi.
Elle s’approcha de moi, doucement. C’est alors qu’elle prit mon visage entre ses mains. Je frissonnai de la volupté du moment, de la tendresse de son geste. L’astre lunaire éclairait son visage, son si beau visage. Puis, elle me prit la main de nouveau, ses doigts caressant les miens au passage.
Je frissonnai. Elle déposa sur mes lèvres un petit baiser chaud et doux.
Mon cœur dans la mêlée battait à tout rompre, ce qui n’allait pas manquer à l’attention de Marie-Lou. Ton cœur, commença-t-elle, il bat tellement fort, ajouta-t-elle en riant.
Je lui répondis en lui rendant son baiser, emplie de l’allégresse que je ressentais, libérée du poids de mon lourd secret. Nous restâmes sur le bord de la rivière jusqu’au petit matin, nous promettant de nous rejoindre en après-midi.
Quand j’entrai dans la maison de grand-mère, celle-ci dormait encore. Ouf! Je me glissai dans mon lit, ne ressentant pas la fatigue tellement j’étais heureuse. Je me doute que ce fut la même chose pour ma douce amie, car elle était là devant la porte de la maison à 14 heures tapantes!
Je pris sa main dans la mienne, me retournant vers la maison; ma grand-mère était à la fenêtre. J’eus peur de sa réaction, mais elle me fit un sourire complice en m’envoyant la main. J’anticipais une réaction négative, mais à son geste, je compris qu’elle savait. Elle savait depuis tout ce temps pour Marie-Lou!
Je ne savais pas de quoi serait fait l’été ni même ce qui se passerait une fois la saison estivale terminée, mais je savais qu’à ce moment si parfait, j’étais heureuse. Je me retournai vers Marie-Lou. Je la fixai dans les yeux, ses magnifiques yeux verts, mon regret de ne pas être allée au chalet familial bien loin derrière moi. Elle me sourit.
Comme elle est belle quand elle rit, elle ressemble à un cookie…
1 comment
Alain Leclerc
Excellent!