Après avoir lu et adoré le roman érotique Aimer à Manhattan, j’ai décidé de discuter avec son auteure, Kim Messier, afin de savoir comment elle s’y prenait pour écrire un roman érotique et comment son processus variait d’un genre d’écriture à l’autre.
Kim Messier, tu as écrit des romans de science-fiction (dans la série Menvatts), des romans pour adolescents ainsi que des romans érotiques. En quoi est-ce que ta préparation diffère pour les romans érotiques contrairement aux autres genres?
R : Écrire un récit de science-fiction m’a demandé beaucoup de recherche et j’ai dû planifier mes chapitres en détail pour respecter le monde des Menvatts créé par différents auteurs avant moi aux Éditions AdA. Pour ce qui est de mes romans jeunesse, comme je traitais d’un sujet tabou (l’homosexualité féminine), j’ai suivi un cours universitaire sur le sujet et lu beaucoup de livres de référence avant d’écrire mon histoire. Les livres de la collection Tabou aident vraiment les adolescents qui se sentent concernés par le sujet qu’ils choisissent. Je me devais donc de connaître mon sujet pour que les Éditions de Mortagne l’approuvent.
Par contre, pour ce qui est de mes romans érotiques, que je considère avant tout comme des romans d’amour réalistes et émotionnels, j’ai à peine planifié mes chapitres. Je savais qui étaient mes personnages et je connaissais la structure générale de mon récit, mais en écrivant, je laissais l’inspiration me guider. Pour écrire des scènes érotiques, il faut avant tout créer une atmosphère et définir le profil psychologique de son personnage principal pour lier l’émotion au corps. Après, la tension sexuelle s’installe lentement pour aboutir à une vraie scène passionnelle.
Quelle est l’importance du vocabulaire choisi?
Selon moi, il faut absolument varier le vocabulaire pour éviter de toujours faire référence aux organes génitaux et autres parties du corps de la même manière. Il faut aussi décrire ce que ressentent les personnages lors des ébats sexuels. En fait, le vocabulaire sert à décrire la scène érotique en détail, car il faut s’attarder à chaque geste et à chaque réaction, minute par minute, comme si le moment se produisait en temps réel.
Quel est le secret pour écrire des scènes érotiques réalistes?
Faire en sorte que ce ne soit pas parfait. Je me rappelle avoir écrit une scène dans laquelle mes deux personnages font passionnément l’amour dans la cuisine, mais le téléphone sonne et l’homme, préoccupé par l’état de santé de sa mère qui vit en résidence, répond au lieu de continuer à satisfaire sa maîtresse. On peut aussi inclure de l’humour, des sentiments extrêmes, des réactions inattendues, des inquiétudes, etc. Une vraie relation sexuelle, même dans les débuts, est rarement parfaite et la vie, pleine de rebondissements.
Le roman érotique a vraiment gagné en popularité depuis les 10-15 dernières années, notamment suite à la publication de la série Fifty Shades. Crois-tu que la popularité du genre est là pour durer?
Même si la vague est passée, les femmes qui aiment lire de la littérature érotique continueront de lire ce genre littéraire. Je crois qu’il durera toujours, puisque la sexualité fait partie de la nature humaine. Il y a par contre des modes, comme pour tous les genres de récits. Fifty Shades a permis à ce genre, lu habituellement dans le plus grand des secrets, d’entrer sur la place publique (même au cinéma) et de montrer que les femmes aiment lire de la littérature érotique. Celle-ci stimule leur imagination et les fait rêver.
La pornographie visuelle est omniprésente et facilement accessible aujourd’hui. Selon toi, comment la littérature érotique peut-elle continuer à se tailler une place dans l’univers de l’art sensuel?
La littérature érotique est suggestive. Une scène érotique est vécue différemment d’une lectrice à l’autre (ou d’un lecteur à l’autre). La littérature érotique met aussi en scène des personnages qui vivent des difficultés personnelles, qui se trouvent, se complètent et s’aident à travers les épreuves. Ce n’est pas que du sexe!
Dans la pornographie visuelle, rien n’est suggéré et le contexte (l’atmosphère) n’est pas la priorité. Le but est de « voir » à tout prix, pas de ressentir des émotions en suivant le parcours tumultueux de personnages qui ont des sentiments et des choix difficiles à faire. J’ai lu beaucoup de romans érotiques sans consistance. Les scènes sensuelles sont jetées ici et là dans le roman sans qu’il y ait une raison, sans lien avec le profil psychologique des personnages. Je déteste ça!
Et je suis vraiment fatiguée de voir que la fameuse histoire de l’homme instable psychologiquement qui abuse d’une femme amoureuse de lui soit encore « populaire » ou publicisée (comme dans le film 365 jours DNI, sur Netflix). La seule chose que j’adore dans ces films, ce sont les scènes de sexe, car, contrairement aux films pornographiques, on ne voit pas l’acte sexuel dans ses moindres détails et, surtout, il existe une passion décuplée, exaltante, entre les personnages principaux que beaucoup de gens rêvent de vivre au moins une fois dans leur vie.
Dans Fifty Shades, les scènes de sexe étaient émoustillantes, mais dans 365 jours, elles sont carrément électriques (la tension et la complicité entre les acteurs sont palpables. Ma scène préférée : le bal!).

Je crois qu’il n’y a pas de honte à aimer les films ou les livres érotiques, mais je suis de plus en plus convaincue que les femmes doivent apprendre à reconnaître ce qu’est une relation toxique pour ne pas idéaliser un type d’homme en particulier et se retrouver à vivre une relation amoureuse malsaine dans la vraie vie.
De plus, la pornographie visuelle qui promeut les viols n’aide en rien et on retrouve souvent des scènes abusives dans la littérature érotique. La plupart du temps, ces scènes ne servent pas à dénoncer les diverses formes de manipulation dans un couple, mais plutôt à les valoriser, ce qui propage l’idée que les femmes aiment être maltraitées.
Il y a une différence entre aimer la domination sexuelle comme jeu respectueux dans son couple (ou dans un contexte particulier) et la domination violente non souhaitée.
Le film 365 jours DNI (basé sur les romans de la polonaise Blanka Lipińska), tout comme la série Fifty Shades, démontre qu’une femme peut et doit tomber amoureuse d’un homme violent. Selon moi, il faut changer ça. Il me semble que ce serait bien de regarder un film ultra sensuel et passionnant sans abus dans le couple.
On aurait tendance à croire que la littérature érotique est une affaire de femmes. Par contre, je soupçonne que les hommes qui lisent ces romans sont nombreux. Est-ce difficile d’écrire pour les deux publics?
Non. J’écris en me fiant à mon instinct et à ma propre excitation. Il faut être émoustillé par l’écriture de sa scène pour qu’elle fonctionne. Je ne pense pas à la personne qui lira mon roman, mais plutôt aux sensations ressenties pendant l’écriture et la lecture.
Poursuivons dans la même veine. Croyez-vous que les auteurs masculins de littérature érotique sont jugés plus sévèrement que les femmes?
Ça dépend du contexte des scènes érotiques écrites. Si elles sont ultra violentes, dégradantes, etc., il peut y avoir plus de jugement, en effet, surtout dans le contexte actuel où plusieurs femmes dénoncent leurs agresseurs.
Sinon, les hommes peuvent écrire des romans érotiques aussi captivants que les femmes. Marc Aubin, auteur de La Justicière, en est un exemple parfait.
Mis à part tes propres romans, lesquels conseilles-tu aux auteurs qui aimeraient avoir des exemples de la marche à suivre?
La série La Confrérie de la dague noire de l’auteure J.R. Ward. Des romans mêlant amour, passion et action entre vampires et humains. Vraiment excellent! Pour la description des scènes de sexualité, la série Aventures et Passions (aux éditions J’ai lu pour elle). Quand j’étais adolescente, j’en ai lu des tonnes.
J’ai toujours aimé lire des romans historiques dans lesquels il y avait des intrigues et des scènes chaudes. D’ailleurs, la popularité de la série Outlander (romans et série télé) démontre très bien que les femmes adorent les héros courageux et aux valeurs bien placées, tel James Fraser.