Asphyxies

Sous la loupe : Asphyxies

Dans sa toute première chronique, la polyvalente Valérie Tremblay passe le premier roman de l’auteur Sébastien D. Bernier, Asphyxies, publié aux Éditions Sémaphore, sous la loupe.

Synopsis :

2093. Fraîchement sorti de prison, Patrice Lajoie s’installe chez sa soeur Régine avec une seule idée en tête : enfiler ses lunettes ludiques, traverser le portail quantique et trouver un réseau safe pour s’adonner aux jeux illégaux sur la BlackPlay. Pris sur le fait par Terminal 037, Patrice, Régine et son conjoint doivent suivre un programme de rachat sociétal du gouvernement et accueillir chez eux, pour un certain temps, une personne âgée défavorisée. Le défi est de taille, le fossé entre les générations, infranchissable.

C’est alors que Patrice fera son pari le plus risqué.

Dystopie tout aussi sombre qu’éclairée, Asphyxies dresse un portrait incisif d’une chute annoncée vers la déshumanisation.

Asphyxies, Sous la loupe :

Les Éditions Sémaphore accueillent Sébastien D. Bernier pour son premier roman, intitulé Asphyxies. Ayant déjà été actif dans le monde théâtral au début des années 2000, l’auteur nous présente ici une oeuvre de science-fiction aux accents clair/obscur qui se déroule dans un futur probable ou annoncé, à la fois terrifiant et étrangement familier.

D’abord, le roman Asphyxies saura plaire autant aux connaisseurs de science-fiction qu’aux néophytes, et même à ceux qui ne s’intéressent pas du tout à ce genre. Dès les premières pages, l’auteur nous propose un univers touffu, mais bien contrôlé, qui risque d’effrayer plusieurs lecteurs. Par contre, avec un peu de persévérance, tout se replace par la suite. 

Je parle d’univers chargé, car Bernier ajoute énormément d’éléments de science-fiction à son récit : univers parallèles, casques de réalité virtuelle, téléportation, androïdes décideurs, stérilisation des pauvres, air irrespirable, fonctionnaires numérotés, drones-mouches injectant des médicaments, allergie à l’art, cyborgs effrayants – des humains comateux vendus pour leur enveloppe, vidés pour en faire une machine avec des agrafes visibles sur les paupières et un oeil mécanique dans le front – et j’en oublie sûrement. 

Tout ça avec une narration éclatée et inventive qui passe de omnisciente (à différents points de vue), à participante, où le récit de Régine est raconté au passé, ce qui donne au lecteur un indice du destin funeste des personnages. Ce chevauchement crée un rythme discordant, qui, étonnamment, est tout à fait juste.

Patrice passe donc une dernière nuit en prison pour paris illégaux. Il reviendra vivre chez sa soeur Régine et son mari Charles et se relancera dans une course aux paris illégaux. Régine, voulant s’en débarrasser à nouveau (c’est à cause d’elle qu’il s’est retrouvé en prison la première fois), commettra une grossière erreur et se retrouvera aussi, avec son mari, accusée à tort du crime. Ils ne seront pas emprisonnés, mais subiront une peine assez originale : s’occuper d’une aînée, Stéphanie, qui, comble de malheur, écoute de la musique et… parle! 

Le lecteur est ainsi emporté dans une réflexion essentielle dans notre société actuelle : comment devrait-on traiter les aînés? Dans Asphyxies, s’occuper des aînés est un châtiment, qui est rémunéré lorsque la peine est terminée. Paradoxalement, lorsque l’aîné fait partie de notre famille, nous ne pouvons ni être payés pour s’occuper de lui ni d’un autre; il faut alors y renoncer, ce qui donne lieu à une scène crève-coeur et brutale pour le lecteur dès le début du récit. 

Difficile de ne pas sentir une pointe d’amertume en ces temps de confinement dû à la COVID-19, où la façon questionnable dont on s’occupe des aînés est mise de l’avant quotidiennement dans les médias. Stéphanie, l’aînée placée sous la tutelle de Patrice, Régine et Charles, est isolée lorsque l’agente 023 explique les soins à lui prodiguer ou encore annonce des nouvelles à propos de son fils. Elle écoute de la musique, crie, dérange les deux hommes retournés bien vite à leur besogne de paris criminels. Une déshumanisation annoncée des aînés : saurons-nous changer les choses avant de nous retrouver dans cette situation?

C’est finalement Régine qui découvrira son humanité à travers Stéphanie et agira en tant que protectrice pour l’empêcher de subir les assauts de Charles et de Patrice. Une conversation entre les deux générations, lors de laquelle Stéphanie expliquera l’évolution de notre société (elle est née en 1976…) vers ce futur sombre et terrifiant, ce qui aidera Régine à retrouver la liberté, dont elle avait oublié l’existence…

Au final, Asphyxies présente une dystopie intimiste qui plaira à tous. L’histoire est bien ficelée, l’écriture est efficace et maîtrisée. Il aurait été possible d’enlever quelques éléments de l’univers pour épurer le tout, mais l’ensemble se tient. Pour moi, la meilleure science-fiction, c’est celle qui nous transporte vers une réflexion sur notre monde actuel et ce qu’il pourrait devenir, et ça fonctionne encore mieux lorsque l’auteur réussit en plus à me faire croire que ça pourrait réellement arriver, comme c’est le cas dans le roman de Sébastien D. Bernier.

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