Andréa Renaud-Simard, bonjour. Dans votre roman Le Livre ardent, le dardasse recouvre le monde. Pouvez-vous expliquer ce que c’est et ce que cela provoque ?
C’est une plante invasive, de couleur terne, qui pousse tout près du sol dans des conditions environnementales diverses. Elle vide le sol de ses nutriments, empêchant la croissance ou la germination des autres espèces. La partie externe de la feuille est fragile. Lorsqu’on la cueille, l’enveloppe se brise facilement et laisse s’échapper la pulpe, gélatineuse. On peut donc s’en servir comme d’un matériau qui ressemble un peu à de la boue. Dans un contexte de pollution et de perte importante de la biodiversité de la planète, bien avant l’action du roman, il a été impossible de contrôler l’invasion d’une mutation génétique de la plante, qui l’a rendue encore plus résistante et rapide à se reproduire.
En planifiant votre récit, comment avez-vous fait pour visualiser le monde futuriste dans lequel évoluent vos personnages ?
Mon idée était de mettre en scène un peuple capable de faire évoluer leur phénotype de façon accélérée. Je me suis ensuite interrogée sur les implications d’une telle technologie, comment elle serait utilisée, à quelle fin et par qui. Je trouvais intéressant d’avoir un espace habitable réduit pour pouvoir traiter de la relation entre deux peuples, de leur coexistence et des tensions qui en découlent. Cela a amené d’autres pourquoi, d’autres comment. C’est à force de me poser des questions que j’ai imaginé ce monde, un petit morceau à la fois.
Pourquoi avoir choisi de parler du culte de la beauté (et de ses conséquences extrêmes) dans ce roman de science-fiction ?
La thématique a émergé naturellement lorsque je me suis mise à explorer l’idée de ce concours auquel participe le peuple ardent. La beauté est un moule, qui prend bien sûr, dans ce roman, une forme totalement différente des critères esthétiques de notre société. Mais nous sommes tous influencés par ce moule, peu importe sa forme, et parfois aveugles aux extrêmes dans lesquels il nous amène. C’est ce culte de la beauté qui transforme le peuple ardent en objet, en quelque sorte, et qui est au cœur de la dynamique du récit.
Vous mettez aussi en scène des personnages accros aux jeux virtuels et des gouvernements qui s’en servent pour contrôler la population. Pourquoi avoir choisi de mettre en lumière ce problème actuel dans ce monde futuriste ?
Le jeu virtuel me paraissait idéal pour créer un lien superficiel entre les deux peuples, basé sur l’apparence, mais également captivant et immersif. J’aime mettre en scène, dans mes histoires, la façon dont on échappe à un système de pensées. Cela illustre aussi à quel point nous sommes tous sujets à des biais, à des influences multiples, inconscientes. C’est parfois plus facile de le constater dans une œuvre de science-fiction, puisque c’est tellement extérieur à notre monde, mais bien entendu, c’est une réflexion qui s’applique à nous aussi.
Dans le roman, le lecteur lit le point de vue de plusieurs personnages. Pourquoi avoir fait ce choix lorsque vous avez écrit cette histoire ?
C’est un arrière-monde complexe et j’ai eu l’impression que, pour en livrer une idée juste, je devais emprunter la voix de personnes occupant diverses positions dans la société. Je préférais que l’on vive le changement sous plusieurs angles, avec les personnages plutôt qu’en décrivant l’action d’un point de vue extérieur.
Quel est votre personnage préféré et pourquoi ?
Je vais avoir une réponse plutôt clichée : je les aime tous ! J’aime la force insoupçonnée d’Astiane et d’Amira. La résilience de Macha et de Gregor. La candeur de Parseval. La compassion de Davios. Je dois avouer qu’en écrivant Astiane, je me sentais toujours confortable. Elle est la force et la confiance qui me manquent trop souvent. Je ne sais pas si cela en fait ma préférée, mais chose certaine, j’ai apprécié sa compagnie !

Il y a de fréquents retours en arrière dans lesquels on découvre l’histoire de la reine Astiane, femme rejetée de son royaume qui découvre qui sont les Ardents, un peuple forcé de vivre au-delà d’un désert, dans la région la plus affectée par la dardasse. Pouvez-vous expliquer l’utilité de ces retours en arrière ?
Il fallait partir de plus loin, selon moi, pour comprendre le peuple ardent et sa culture. Je pense que c’était un élément essentiel pour mieux saisir la dynamique actuelle entre les deux peuples.
Quels sont les principaux défis reliés à l’écriture d’un roman de science-fiction ?
Le principal défi (et plaisir) est de tenter de rendre l’arrière-monde cohérent. La science-fiction est plus facile à écrire pour moi qu’un genre réaliste. On peut traiter des mêmes thématiques, mais dans un cadre plus libre, avec moins de contraintes.
Avez-vous fait de la recherche pour rédiger Le Livre ardent ?
J’ai approfondi certains sujets, oui, mais je n’ai pas fait de recherches exhaustives sur un aspect en particulier. Je dirais que l’essentiel de mes notes concerne l’arrière-monde.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de la révision littéraire ?
Bizarrement, c’est une étape que j’aime beaucoup ! Je dirais donc que le principal défi en est un de temps. La réécriture demande énormément de travail, mais c’est enrichissant d’avoir une vision extérieure sur le roman. Comme j’avais déjà travaillé avec Geneviève Blouin dans le passé et que j’ai envoyé mon manuscrit spécialement pour collaborer avec elle et Mathieu Lauzon-Dicso, la révision littéraire s’est bien passée.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui aimeraient écrire un roman de science-fiction ?
Je conseillerais d’abord d’en lire le plus possible. Puis de commencer par écrire des nouvelles. C’est très formateur et le travail de réécriture demande moins de temps.
Avez-vous d’autres projets d’écriture en ce moment ?
J’ai toujours quelques projets d’écriture. Par contre, la grande majorité est encore au stade embryonnaire. J’ai cependant un nouveau roman qui serait bientôt prêt pour être testé sur quelques premiers lecteurs. Reste maintenant à me trouver des cobayes !