Kim Messier a eu la chance de lire le nouveau roman de Jonathan Reynolds avant sa parution officielle.
Il s’agit d’une œuvre fantastique intitulée Abîmes. qui paraîtra le 18 juin 2020 aux Éditions Alire.
« J’ai tellement été saisie par le roman que je l’ai lu d’une traite. Je me suis donc empressée de contacter Jonathan afin de discuter de son processus de création et de sa passion pour la musique métal, » nous dit Kim.
Voici leur entretien.
Synopsis de Abîmes :
À Québec, depuis qu’il a assisté au spectacle du groupe L’Abyme, Frédéric oublie ses pratiques musicales et néglige ses clients du Pentagramme, la boutique spécialisée dans le Heavy Métal où il officie.
Mais ce qui inquiète encore plus Annie, sa blonde, c’est de l’entendre murmurer, la nuit : « La cloche… j’entends la cloche… ».
À Montréal, Violette, qui peine à oublier son dur passage dans le milieu de la prostitution, est elle aussi tourmentée par un rêve dans lequel elle a revu Frédéric, son premier chum.
Or, quand elle le croise en face du bar les Katacombes – exactement de la même façon que dans son rêve ! -, Violette ne doute plus : une force obscure tient absolument à les réunir. Mais pourquoi ?
Au Saguenay, Simon, un jeune métalleux idéaliste, décide de quitter le foyer familial – et surtout sa mère qu’il hait de toutes ses forces – et de s’engager comme roadie pour un groupe Métal dont il n’a pourtant jamais entendu parler. L’Abyme.
Mais si, au début, il a trouvé fascinant le trio qui le compose, une profonde inquiétude le ronge maintenant : car qui, ou que sont vraiment Catherine, Daniel et Robert ? Frédéric, Violette, Simon. Trois jeunes adultes passionnés de musique Métal qui, sous l’emprise de la Cloche ancestrale, s’approchent inexorablement des abîmes…
Pour toi, qu’est-ce qu’un roman fantastique?
C’est un roman qui se déroule dans notre réalité, dans le quotidien, et où il y a l’incursion du surnaturel qui vient contaminer le réel, éloigner l’explication rationnelle des événements et faire douter de la réalité telle qu’on la concevait au départ.
L’horreur est un dérivé du fantastique.
D’ailleurs, plusieurs théoriciens des genres affirment que l’horreur est une « épice » qu’on ajoute au fantastique (fantastique horrifique, par exemple : Stephen King), à la science-fiction (science-fiction horrifique, par exemple : le film Alien) ou à tout autre genre existant.
Beaucoup de gens confondent « fantastique » et « fantasy ». Ce dernier terme implique une histoire qui se déroule dans un monde qui a ses propres règles où la magie remplace en quelque sorte la science. Exemple : Le Seigneur des Anneaux.
À travers le récit fantastique de Abîmes, je décèle un roman d’enquête. Est-ce exact? Plus on lit, plus on découvre des indices qui nous mènent à découvrir le groupe Abyme et ses membres, leur mode de vie, leur motivation.
Oui, j’ai volontairement parsemé l’intrigue de Abîmes d’indices pour que le lecteur se dresse peu à peu, au fil des pages, un portrait du mystérieux groupe musical au cœur du roman.
Pourquoi avoir choisi le glissement de terrain de Saint-Jean-Vianney, en 1971, comme trame de fond pour Abîmes?
Parce qu’il me fallait un événement que je voulais au Saguenay pour les besoins de l’histoire, une tragédie concrète, bien réelle, qui a engendré de la douleur, des pertes… et créé un gouffre, un « abîme » autant physique, dans le paysage, que psychologique et émotionnel chez certains personnages.
Mais je m’arrête là avant de trop en dévoiler à celles et ceux qui n’ont pas lu Abîmes…

Sur quelle légende t’es-tu basée pour parler de la Cloche ancestrale?
Il me fallait une force qui vibre, capable de résonner encore plus fort que les vibrations de la musique Métal.
J’ai eu à l’esprit l’image d’une cloche dans le processus de création du roman Abîmes. Je ne crois pas m’être basé sur un mythe précis, du moins pas consciemment.
En dehors du fait que tu désirais que la structure de Abîmes soit déconstruite (comme les personnages dans l’intrigue qui sont abîmés par la vie), qu’est-ce qui t’a amené à vouloir écrire le point de vue de différents personnages dans ton roman?
Non seulement était-ce un beau défi littéraire, mais aussi et surtout parce que l’intrigue de Abîmes le demandait.
Pour que le lecteur comprenne, ait une vue d’ensemble, j’aurais pu « arranger les choses », forcer l’intrigue, mais c’aurait été tiré par les cheveux (lire ici « hollywoodien », ce que je n’aime pas écrire personnellement), faire qu’un seul personnage mène une « super-enquête » et comprenne tout cela parce qu’il est plus doué ou plus intelligent que la moyenne.
Non, je voulais des personnages qui « se peuvent dans la vie », qui se montrent forts, mais qui sont fragiles au fond, dans lesquels les lectrices et lecteurs pouvaient se reconnaître…
Je voyais ce livre comme un miroir fracassé où chaque fragment que le lecteur ramasse sur le sol représente un de ces personnages « abîmés », mais, comme la plupart des objets brisés, on ne retrouve pas tous les morceaux, il nous manque certains fragments pour avoir pleinement la vue d’ensemble.
Ainsi, je ne prends pas le lecteur par la main pour lui donner toutes les réponses toutes cuites, non, je le laisse se questionner par lui-même sur certaines questions, certaines énigmes du roman.
Un peu comme la vie : on pense bien la connaître, mais on n’en sait pas grand-chose au final.
Quel personnage de Abîmes préfères-tu et pourquoi?
Je dirais Violette, parce que, sans trop en révéler sur l’intrigue, c’est la seule personne vraiment forte de Abîmes, celle qui se battra jusqu’à sa dernière parcelle d’énergie pour ne pas succomber et s’écraser sous l’horreur qui s’immisce dans la vie de ces personnages. Une guerrière contemporaine, pour ainsi dire.
Qu’est-ce qui t’a inspiré la création des personnages de Frédéric et de Violette?
Il n’y a pas une personne en particulier qui m’a inspiré.
De la façon que je fonctionne en écriture, je suis davantage instinctif. Je n’ai pas, comme certains auteurs, des cahiers de plans et de réflexions sur les personnages.
Je laisse plutôt le personnage se construire à sa propre vitesse, sans brusquer les choses, dans mon esprit, sans savoir consciemment d’où vient chaque parcelle de sa personnalité, de son être.
Ce sont inévitablement des bribes de moi, de gens que je croise, des personnages dans des livres ou des films… Un mélange de tout ça, sans doute.
Je découvre en écrivant, en réécrivant, en ré-réécrivant, les différentes couches de mes personnages qui me réservent souvent de belles surprises, auxquelles je n’aurais pas pu penser, réfléchir, rationaliser au départ d’un projet.
Voilà comment je fonctionne en tant qu’auteur.
Dans Abîmes, tu nous dévoiles le monde de la musique métal dans toutes ses variantes. On découvre aussi que tu es un fin connaisseur. Parmi toutes les variantes, laquelle t’attire le plus?
C’est une question difficile à répondre pour moi. Parce que chaque déclinaison du métal (Heavy traditionnel, Power, Thrash, Death, Black, etc.) propose des aspects qui m’interpellent et me font vibrer.
Par exemple, le Black Métal apporte des ambiances spectrales et une poésie très noire; c’est un certain état d’âme. Alors que le Death Métal est puissant et propose, en quelque sorte, un exutoire pour évacuer le trop-plein.
Mais si on veut se sentir fier, avoir le sourire aux lèvres et se dire que la vie, malgré les problèmes, vaut la peine d’être vécue, c’est avec le Power Métal, une variante très positive et rassembleuse du métal, qu’on y arrive.
Je pourrais continuer longtemps, mais tu comprends, je crois, mieux comment j’aborde cette musique, qui offre un univers très varié, loin du quotidien, ou plutôt comment cette musique m’habite.
Il y a également des contrastes intéressants qu’on y entend : la beauté y côtoie la laideur, la douceur se marie à la violence, la légèreté à la lourdeur, la mélodie au dissonant…
En tant que connaisseur de Métal, crois-tu que certains groupes sont convaincus qu’un autre monde existe et qu’il peut être atteint « grâce aux chants gutturaux, aux guitares et aux basses tourmentées », comme tu le dis si bien dans Abîmes?
Sûrement qu’il y en a dans le lot. Il y a tellement de façons de penser sur Terre…
Avant tout, l’univers de la musique Métal est fortement influencé par les écrits de Tolkien, Lovecraft, Howard, Moorcock… Ce sont des conteurs d’histoires, de mythes plus-grands-que-nature. Mais ça reste des histoires, des légendes.
Certains musiciens abordent des questions sociologiques ou philosophiques, d’autres non. Certains se basent sur des mythologies existantes, d’autres non.
Il existe tellement de groupes que je ne peux pas répondre avec certitude à cette question.
Mais il y a le premier chanteur de Kataklysm qui, à ce qu’on m’a raconté, semblait croire réellement aux paroles de sorcelleries et d’autres dimensions qu’il grognait dans ses chansons.
Pourrais-tu définir ce qu’est le Black Métal sauvage et en quoi il se différencie des autres déclinaisons de ce genre?
C’est une musique qui va à l’encontre du mainstream qui se veut « catchy » à la première écoute. Il n’y a pas de mélodie (ou très peu), pas de refrain entraînant, pas de clavier.
Le son est cru, brutal.
La voix doit être la plus éraillée possible, comme celle d’un mourant, pas comme celle du Death Métal, qui est plus affirmée, plus puissante, plus guerrière.
Le but des groupes qui pratiquent cette musique n’est pas d’en vivre, de devenir connu.
C’est une musique sans concession, qui n’est pas dictée par ce qui est à la mode. Elle peut paraître chaotique pour un non-initié.
Il existe plusieurs déclinaisons de ce genre : il y a entre autres le Black Métal symphonique qui est plus mélodique, souvent mieux enregistré, qui peut être aussi brutal, mais plus accessible à cause du côté mélodique.
Une autre variation est le Black Métal atmosphérique, qui propose souvent de longues pièces où l’auditeur est plongé dans un voyage dans l’ailleurs.
Quels sont, d’après toi, les préjugés existants à propos des fans de Métal?
Que ce sont tous (oui, au masculin, parce qu’on pense à tort qu’il ne s’agit que d’hommes, alors qu’il y a de nombreuses métalleuses) des attardés qui ne sont pas capables d’aligner deux phrases cohérentes et qui se servent de la violence pour communiquer et agir.
Trop souvent, et à part de rares exceptions, les films dépeignent les amateurs de Métal comme des idiots qui font bien rire le spectateur.
Malheureusement, les médias associent souvent le fait qu’une personne écoutait ce genre de musique (même combat pour les films d’horreur) à un geste violent ou criminel.
Comme s’il n’y avait pas de meurtriers, ou de violence, avant l’arrivée du Métal. C’est complètement idiot comme théorie.
Nous n’avons qu’à penser à Hitler. Le Heavy Métal n’existait pas dans son temps… et pourtant.
Je crois que c’est plutôt un moyen de canaliser l’agressivité, le trop-plein à l’intérieur, et de le sortir de soi, au lieu de le sortir sur les autres. Et souvent, l’image du métalleux est associée à une classe plus pauvre, plus opprimée.
Alors que dans les faits, il y a des amateurs(trices) de cette musique dans toutes les couches de la société et de toutes les générations. Le Métal n’a pas d’âge, de sexe, de couleur, de classe sociale…
Aussi, contrairement à l’image « sérieuse » ou « méchante », la plupart des métalleux que je connais sont de bons vivants, drôles, qui ne se prennent pas au sérieux. La même chose peut être dite des auteurs d’horreur.
J’ai remarqué que l’aspect « Viking » est très présent dans le récit de Abîmes. Est-ce parce que cette époque guerrière t’impressionne et t’intéresse?
Oui, il y a un côté sacré avec la mythologie. En tant qu’amateur de musique métal, c’était naturel pour moi d’incorporer ces éléments dans le roman Abîmes, parce que la philosophie Viking est très présente chez de nombreux groupes de ce genre musical (Bathory, Manowar, Amon Amarth, etc.).
Pour le Viking, comme pour l’amateur de Métal, c’est important de ne pas abandonner au moindre échec, de « mourir l’épée à la main » plutôt que d’abdiquer et de baisser la tête face à l’ennemi (lire ici : « les embûches de la vie », foncer et affronter l’inconnu plutôt que de reculer par peur de ce qui pourrait s’y trouver.)
Crois-tu que les cris de nos ancêtres guerriers résonnent encore dans le Métal? Si oui, pourquoi est-ce que, pour bon nombre d’hommes, cela résonne profondément dans leur cœur? Dans le tien?
Je crois que ça va chercher quelque chose d’ancien, d’enfoui en nous, du moins pour ceux et celles chez qui ça résonne.
Une force qui exprime avec puissance, qui libère, qui…
Je ne trouve pas le mot exact que je cherche, mais il y a quelque chose qui nous enracine dans le sol, au lieu de se sentir éparpillés et perdus, et qui nous fait sentir solide.
Aussi par Jonathan Reynolds :
